La lettre de ''L'Express''

Remise en perspective de l'annonce radiodiffusée de De Gaulle qui le 18 juin 1940 refusait l'armistice. Événement passé inaperçu. « l'histoire d'un homme qui avait une vision politique et qui, pendant des mois, ne fut pas suivi. »
Il n'y a pas un Français adulte qui n'ait gardé béant, le souvenir de cette semaine de juin où il se retrouva, fils d'une nation soudain agenouillée. Mais, le 18 qui s'en souvient plus précisément que du 17 ou du 19 ?
Les journées historiques ont ceci de particulier qu'elles ne sont pas ressenties comme telles par ceux qui les vivent.
Un écrivain américain remporte en ce moment un vif succès dans son pays avec des ouvrages entièrement consacrés à une journée historique. C'est à lui que nous avons emprunté l'idée de retracer, heure par heure, le 18 juin 1940.
Aucun journal de France ou de l'étranger (à l'exception du « Times ») n'a fait savoir à ses lecteurs, en ce jour, qu'au cours d'une brève émission de la B.B.C. un certain Charles de Gaulle avait refusé l'armistice sollicité par un maréchal de France.
C'est la remise en perspective de l'histoire qui, d'une journée, fait une date, et d'une date un symbole.
Tous les éléments d'information connus et inconnus qui nous ont permis de reconstituer la physionomie singulière de cette journée concourent à donner la même impression : il y a de par le monde trois sortes d'hommes. Ceux qui, dans une situation dramatique donnée, ont une vision aiguë de ce qu'il faut faire pour se trouver en accord à la fois avec sa morale, ses convictions et son intelligence de la situation. Et qui le font.
Ce sont les aristocrates de l'humanité, à quelque classe qu'ils appartiennent, en ce sens qu'ils font régner, sur la foule de leurs instincts, l'élite.
Les hommes de cette race peuvent se retrouver dans des camps opposés mais ils ne lanternent pas.
La deuxième espèce est riche en hommes clairvoyants mais qui se servent de leur intelligence pour édulcorer leur résolution. Il n'y a pas de certitude que l'on ne puisse accepter de laisser ébranler lorsqu'on redoute l'action et ce qu'elle comporte de risque.
Généralement, ils appellent cela : réfléchir. Comme si la réflexion n'était le plus souvent l'ajournement de la décision de ne pas décider.
La troisième espèce, enfin, cherche et trouve l'attitude la plus conforme à ses intérêts immédiats.
Affaires publiques ou affaires privées, il semble, avec le recul, toujours surprenant que les hommes soient si rares à pressentir que l'on ne peut pas remettre au 19 ce qu'il fallait faire le 18. Aucun signe mystérieux ne marque donc d'une croix de lumière ces jours où s'infléchit le destin.
Quelle femme, quel chien, quel objet précieux, quelle migraine, quelle secrète impuissance a paralysé en France, le 18 juin, tant qui donnèrent ensuite maintes preuves de courage... Mais le difficile n'est pas d'atteler son char à une étoile. C'est de la voir.
L'histoire du 18 juin n'est pas uniquement celle d'un homme seul riche de sa seule foi. Elle est aussi — il est étrange qu'on l'oublie — l'histoire d'un homme qui avait une vision politique et qui, pendant des mois, ne fut pas suivi.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express