La lettre de ''L'Express''

À la suite de la découverte du réseau d'aide au FLN, et du réseau d'aide aux déserteurs, prend la défense des jeunes gens qui y ont pris part.
« Avouez que vous n'osez pas en parler... Avouez que vous avez peur de vous mouiller... »
Depuis que l'affaire du réseau français d'aide au F.L.N., dirigé par M. Francis Jeanson, a éclaté, les communications de ce genre se multiplient.
Et cette semaine, c'est le réseau d'aide aux déserteurs qui a été officiellement découvert.
Avouons. Il est pénible, difficile, douloureux d'évoquer ces deux affaires sans être lâche ou hypocrite.
Pendant l'occupation allemande, nous disions souvent que seuls ceux qui étaient restés muets sous la torture avaient le droit de juger ceux qui avaient parlé.
Juger des hommes qui prennent des risques réels et quotidiens pour accorder leur action à leurs convictions... comme il faut être sûr de soi pour oser... Essayons.
Politiquement, l'activité de M. Jeanson et de ses amis peut paraître aberrante. Mais M. Jeanson n'a jamais entretenu d'équivoque. Ce que l'on a pu lire sous sa plume est clair. Il ne fait pas siens les intérêts immédiats de ses compatriotes — la paix militaire, comme la paix civile — mais les intérêts de l'humanité qui rejoignent, à long terme, ceux des citoyens de tous les pays.
Selon M. Jeanson — et si je l'ai bien compris — la colonisation doit être attaquée et combattue partout et par tous les moyens, comme l'une des plaies majeures, parce qu'aucun homme ne peut être libre si tous ne le sont pas. L'objectif premier est donc non pas de hâter la fin de la guerre, mais l'indépendance totale de l'Algérie. Plus le F.L.N. sera fort, moins il sera tenté d'accepter toute formule intermédiaire qui ferait office d'opération de retardement dans un processus qu'il convient au contraire d'accélérer.
M. Jeanson n'est pas un enfant. Il a prouvé qu'il était assez sûr d'emprunter le bon chemin pour s'y engager tout entier. Il a eu du courage. Il est respectable. Si on le croit sans le suivre dans l'action, s'accordant à la fois le confort intellectuel et la tranquillité matérielle, on n'est
pas respectable. Et si on ne le croit pas, il faut le dire. Je le dis.
Et l'affaire du réseau destiné à faciliter la désertion des jeunes gens désorientés, désemparés, et parfois désespérés par la guerre d'Algérie m'enfonce dans cette conviction.
Combien y a-t-il de garçons de 20 ans qui ont formé leur jugement avec assez de force pour accomplir, lucidement, l'un des actes les plus graves que puisse commettre un homme ?
A quelle collectivité se rattache celui qui refuse d'appartenir à la collectivité nationale puisqu'il la déserte lorsqu'elle l'appelle ? La famille des hommes demeure, pour l'instant, celle des Atrides. Appartenir à la famille des hommes, c'est toujours rejoindre un camp contre un autre camp. Quel camp vont-ils servir ?
Des officiers et des soldats chrétiens, suffoquant de honte devant les tâches qu'on leur assignait, et se révoltant parfois jusque contre le principe de cette guerre, ont résolu, si l'on ose dire, le problème en obéissant à l'appel et en refusant de servir en Algérie. Ils ont été condamnés par les tribunaux. Ils sont en prison où ils jugent qu'ils témoignent pour la chrétienté et pour la France. Mais ceux qui se dérobent, pour quoi, pour qui témoignent-ils ? A qui font-ils ce terrible sacrifice ?
Horrible guerre qui a pu conduire ne fût-ce qu'un garçon de 20 ans à se suicider moralement pour ne pas tuer physiquement. Horrible guerre, celle qui conduit tant de garçons de 20 ans à trahir leur foi et leur idéal, s'ils ne veulent pas trahir leur collectivité.
Et nous sommes là, stupides, devant le Grand Homme qui nous tire les cartes. 1, 2, 3, 4, 5... Roi de carreau : un militaire. 1, 2, S, 4, 5... qui fait un voyage. 1, 2, 3, 4, 5... vous causera une contrariété...
Couvrez le Roi... As de cœur. Il triomphera parce qu'il est aimé. 1, 2, 3, 4, 5... mais il y aura des obstacles. Etc.
C'est ce que, en termes techniques, les voyantes appellent : « vous faire le grand jeu ».

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express