La lettre de ''L'Express''

Prend la défense de Pierre Pflimlin, député
Le moment semble venu de rendre justice à un homme qui fut — les événements de cette semaine paraissent le prouver — mal jugé.
« Folie de ces hommes qui croyaient pouvoir confondre indéfiniment l'art de gouverner avec celui de biaiser, de tricher, de mentir. Folie plus grande encore de ceux qui n'ont pas craint de jouer avec le feu et transiger, de longue date, avec les émeutiers d'aujourd'hui...
« Pour gagner la bataille ou la perdre en forçant l'admiration, il eût fallu le terrible courage de dénoncer les mensonges passés, d'en finir avec toutes les équivoques et tous les faux-semblants, d'appeler par son nom l'insurrection d'Alger tout en découvrant ses véritables causes... » lit-on dans « Le Monde » sous la signature de M. Beuve-Méry (Sirius).
Certes. Et nombreux sont ceux qui ont souscrit à ces lignes. Mais quel chef de gouvernement a eu ce « terrible courage » pour qu'on ne se sente tenu de dire aujourd'hui : « Vous n'avez peut-être pas été brillant, monsieur le Président. Mais la lucidité jointe au grand caractère doit être la chose du monde la plus mal partagée pour que, rétrospectivement, on en soit presque à vous en accorder. »
Oui. Rétrospectivement, le cas de M. Pierre Pflimlin — puisque c'est de lui qu'il s'agit — mérite d'être reconsidéré.
Lorsque l'émeute du 13 mai éclate, parce qu'il a évoqué devant le Parlement la possibilité d'engager des pourparlers en vue d'un cessez-le-feu le jour où il apparaîtra que la rébellion aura perdu tout espoir de succès, qui est-il, lui ? Un parlementaire, sans passé, sans prestige, sans uniforme, sans talent.
Sur quelles forces s'appuie-t-il lui ? Sur un Parlement affolé, aussi bruyant que déconsidéré, sur une opinion publique métropolitaine sceptique et mal informée de la collusion état-major-ultras, qui justifie peut-être le mot de Chesterton : « Le soldat de métier acquiert un pouvoir de plus en plus grand à mesuré que le courage d'une collectivité décline. »
A qui doit-il résister, lui ? Au Président de la République, chef des armées, qui le presse de passer la main. Au général de Gaulle qui le presse d'en finir avec « le système ».
Les députés indépendants réclament sa démission. Le président d'honneur de son propre parti, M. Georges Bidault, se rallie à de Gaulle. M. Antoine Pinay prend directement contact avec de Gaulle. Les insurgés, qu'il ne se résout pas à réduire, ne sont pas des cabaretiers et des lycéens attardés : ce sont des généraux et des colonels.
Il est l'empêcheur de redresser en rond, le civil obtus qui ne comprend rien aux motivations des militaires, l'obstacle dérisoire à la résurrection nationale dans le cadre de la légalité tandis qu'à Alger on « fraternise ».
Le régime dont il permettra, lui, l'avènement en cédant, c'est le consulat. Ce n'est pas la dictature militaire. Le régime dont il sanctionnera, lui, l'agonie en cédant, ce n'est pas une république, c'est une basse-cour.
Et nous l'accablerions au point d'en faire aujourd'hui une sorte de référence ?
« C'est du Pflimlin », entend-on de toutes parts.
Du Pflimlin ? Alors, c'est qu'il resterait quelqu'un pour faire ce qui s'appelait autrefois du de Gaulle ! Et que de monde pour le suivre...

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express