La lettre de ''L'Express''

Cite des passages des discours de DG et des extraits du Prince de Machiavel
Il faut lire, l'un après l'autre, les discours que M. le Président de la République a prononcés au cours de son récent voyage.
Et après avoir lu, il faut saluer. Quand on maîtrise la pensée, la parole et la langue comme Charles de Gaulle, ce n'est point par hasard que l'on livre à la postérité cette forte formule : « La terre est ronde. »
Ce n'est point sans dessein que l'on s'adresse en ces termes à ses sujets :
« Je suis particulièrement heureux d'être dans votre ville aujourd'hui » (Vichy).
« Votre ville est une des plus anciennes, des plus françaises » (Moulins).
« Vous êtes dans une ville où le passé se trouvé ramassé. Une ville française par excellence » (Sens).
« S'il y a une ville française, une grande ville française, c'est bien Le Creusot. »
« Un ensemble magnifique et bien digne de Dijon. »
« Vous n'êtes pas des grands vins mais vous n'êtes pas des vins ordinaires » (Mâcon).
« Vous êtes des Bourguignons, l'armature et l'ossature de la France » (Auxerre).
« La magnifique race charolaise va devenir la race du Marché commun » (Paray-le-Monial).
« Jamais je n'ai encore vu une chose pareille... » (au Creusot, assistant au forgeage télécommandé d'un cylindre de laminoir).
De pétulants personnages ont eu vite fait de déceler, dans ces propos, l'influence littéraire de Jaboune. Que Dieu les garde en leur candeur... Ou qu'ils relisent Machiavel :
« Ce ne fut pas petite merveille que d'entendre avec quelle audace il a recommencé sa prédication, avec quelle audace il la poursuit... Le Prince doit faire tenir par d'autres les rôles qui attirent rancune...
« Le Prince doit savoir bien user de la bête. Il en doit choisir le renard et le lion. Ceux qui simplement veulent faire les lions, ils n'y entendent rien. Celui qui a mieux su faire le renard, ses affaires vont mieux. Si les hommes étaient tous gens de bien, mon précepte serait nul, mais comme ils sont méchants et qu'ils ne lui garderont pas leur foi, lui non plus il n'a pas à la leur garder. »
Renard ou lion, renard et lion, nous ne vivons ni sous Jaboune ni sous M. Lebrun. Et s'il arrive au président de la République de prendre connaissance des réactions étonnées que suscitent ses harangues parmi ceux qui le tenaient pour un grand esprit, nul doute qu'il y prenne un secret plaisir. Celui que l'on éprouve à passer pour un niais aux yeux d'un imbécile.
Machiavel, il est vrai, comptait sans la presse, sans la radio, sans la télévision qui épargnent les vaches du Charolais mais qui permettent aux habitants du Maçonnais de ne rien ignorer de ce qui se dit dans le Nivernais, et d'éprouver peut-être un léger dépit à n'être point seuls élus dans le cœur du Prince. Voire à interpréter ce miel indistinctement répandu sur toutes les tartinés comme une magistrale manifestation du mépris dans lequel il conviendrait de tenir les hommes pour les bien gouverner.
Mais les Français. Usent-ils ? Mais écoutent-ils ? Mais veulent-ils entendre autre chose ? C'est là le pari. Suffira-t-il, là où surgissent des résistances, de brocher sur une secrète politique l'or des mots :
« Crémiers, la France est fière de vous... Vive le beurre, vive la Normandie... »
« Soldats, invincibles et glorieux, vous allez rentrer dans vos foyers pour y poursuivre, avec moi, votre tâche. »
« Vous qui arrachez à la terre le charbon qui fait notre force, je ne vous plains pas : le charbon que vous savez est du charbon français. »
« Combattants de l'Algérie nouvelle, je salue votre courage... Vive Bugeaud ! Vive Ferhat Abbas », etc.
Il nous faut la paix, et nous ne pouvons pas cesser la guerre. Qu'on nous donne la paix... Il sera bien temps ensuite de changer de méthode... objectent les sages.
Renvoyons-les également à Machiavel :
« Quiconque se sera nourri de la lecture des événements anciens sentira que tout changement doit être, suivi et marqué de l'exécution mémorable de quelque ennemi de l'Etat nouveau. Qui ne fait pas périr Brutus... » ;
C'est en désignant son Brutus que l'Etat nouveau révélera son véritable visage.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express