La lettre de ''L'Express''

Droit de réponse à la RTF refusé à Jean Daniel, mis en accusation par un employé du gouvernement, pour avoir tenu des propos sabotant la nation. Montre que la radio n'est pas un service public libre.
Mis en cause, en même temps que « L'Express », par un employé du gouvernement, au cours d'une émission diffusée le 13 mars, à la suite de la dernière saisie de notre journal, Jean Daniel a demandé au directeur général de la R.T.F. le droit de réponse.
Par lettre du 26 mars, celui-ci vient de faire connaître sa décision : « Je ne crois pas possible, écrit-il, de vous donner satisfaction. »
Bien sûr.
Il ajoute que l'employé en question « n'a pas eu l'intention de porter atteinte à votre patriotisme ».
C'est trop aimable à lui. En somme, ce qu'il en a dit, c'était pour rire. Parce qu'il faut bien parler et que la diarrhée verbale ne va pas sans éclaboussures. Alors, embrassons-nous, Folleville !... De quoi nous formaliserions-nous ?
M. le Directeur Général de la R.T.F, nous permettra peut-être de lui faire observer que les intentions de son employé sont d'un intérêt secondaire, dès lors que celui-ci se montre impuissant à les traduire en gestes ou en paroles.
Curieuse impuissance d'ailleurs. Elle atteint l'infortuné dès qu'il parle au micro. Pur de toutes intentions injurieuses, son patron en témoigne, le voilà conduit cependant à lire des choses telles que :
« Les conclusions politiques de ce journal atteignent, sabotent je ne dis pas l'armée, je ne dis pas seulement la France, je dis la France et l'Algérie tout ensemble... »
Ou encore :
« Ces gens savent-ils ce qu'ils font ? Oui. Ils veulent le malheur pour le plaisir d'avoir eu raison, »
Echange-t-il le micro contre le téléphone ? Le voilà brusquement en état d'accorder intentions et paroles.
En d'autres termes, il insulte publiquement le soir, mais il s'excuse en privé le matin.
Le malheur veut que ses propos du soir atteignent quelques millions d'auditeurs, et que ses propos du matin n'en atteignent qu'un ou deux. Et encore... Lorsque ceux-ci acceptent de prendra la communication.
Mais ce n'est là qu'un petit aspect, l'aspect comique, de la question.
Se fût-il exprimé par tout autre truchement que les antennes de la France, nous ne nous serions pas attardés à démêler cet écheveau d'intentions. Il n'y a pas deux libertés, une bonne et une mauvaise, la nôtre et celle des autres. Qu'il use donc de la sienne comme il lui convient, fût-ce à nos dépens. L'important est ailleurs. Il est à la Radio.
Nous avions le droit de penser que la R.T.F, était un service public, mis à la disposition de l'opinion pour l'informer, pour l'éclairer, même contradictoirement.
Cette affaire dissipe ce qui pouvait subsister d'équivoque à ce sujet.
Nous sommes désormais en droit de considérer la R.T.F. comme une entreprise de caractère privé, destinée à assurer par tous les moyens, y compris la diffamation, la publicité personnelle de quelques individus et de leurs opinions, et jouissant de protections assez hautes pour exercer cette activité en toute impunité.
Soit. Mais n'étant pas clients de cette entreprise, nous ne voyons pas clairement pourquoi nous serions tenus de continuer à la subventionner.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express