La lettre de ''L'Express''

S'interroge sur la croyance en la démocratie des populations
M. Bevan y croit. M. Nenni y croit. M. Mendès France y croit.
— La politique que nous adoptons devra être appliquée avec l'accord des populations intéressées, dit l'un.
— Le rassemblement des volontés de tous les citoyens, condition du succès, nous devons l'obtenir par l'explication, par la discussion et le jeu de la liberté... Je reste persuadé que c'est possible, dit l'autre.
— Dire qu'une chose est plus importante qu'une autre, c'est dire qu'elle a une plus grande valeur, donc qu'elle répond à un but moral plus élevé, ont encore déclaré les trois hommes d'Etat au cours de leurs entretiens publiés ici.
Donc, ils y croient. Ils croient à la démocratie et à son avenir, ils croient à l'existence possible d'un système politique et économique associant « le maximum d'efficacité avec le maximum de justice et le maximum de liberté ».
Mais les « moins de quarante ans », eux, y croient-ils ? Y croient-ils encore ?
C'est peut-être la question la plus grave — en tout cas la plus fondamentale — que l'on puisse aujourd'hui poser et se poser.
Et pour y répondre, il ne s'agit pas d'attacher à son cou le grelot « démocratie » et de secouer très fort la tête et le faisant sonner.
Il faut arracher d'abord la peau des mots pour en retrouver le contenu.
Quand M. Sékou Touré, chef de la Guinée, déclare cette semaine à un journaliste américain, Blair Clark :
— L'homme social a la liberté de suicide, c'est-à-dire la liberté de vivre ou de mourir. Etre maître de ses pensées et de ses actes, c'est aussi la liberté, mais si ces pensées et ces actes détruisent la société, c'est une liberté anarchique, lorsque ce n'est pas l'anarchie elle-même...
Il est évidemment sincère et cohérent avec la situation à l'intérieur de laquelle son pays se trouve.
Mais combien de Français souscriraient à cette liberté réduite aux acquêts ?
Quand M. Michel Debré s'écrie : « Le destin de l'Algérie : la liberté d'une vraie démocratie »... il le pense certainement. Mais à quoi pense-t-il ?
Quand vous dites : « Je crois — ou je ne crois pas — à la démocratie... », quelles images évoquez-vous ?
L'enquête que nous ouvrirons la semaine prochaine, en publiant d'abord une série de questions précises, concrètes, adressées à nos lecteurs, leur permettra, croyons-nous, d'aller au fond de leur propre pensée.
Ce n'est pas simple, mais il faut y aller. Pour soi. Parce qu'il n'est déjà pas si facile d'agir quand on sait ce que l'on veut...
Le geste que vous faites, les paroles que vous prononcez, le vote que vous émettez, l'action que vous exercez vont-ils dans le sens de ce que vous voulez ?
Et ce que vous voulez, êtes-vous certain de n'y avoir point implicitement renoncé ? Le voulez-vous assez fort pour refuser de vous laisser engager dans toute autre voie ?
Voulez-vous de la démocratie ? Croyez-vous, croyons-nous à la démocratie ? Ou bien le temps en est-il passé ?
Désabusés, ou simplement indifférents, ou encore tentés de se réserver le rôle du Juste, qui compte les coups mais se garde d'en donner pour n'en point recevoir, les démocrates sont infailliblement complices de ceux qui, par nature ou par désespoir, ont choisi d'être efficaces seulement.
Sceptiques, les démocrates sont vaincus. Montesquieu l'a dit : « Dans les démocraties, le gouvernement est confié à chaque citoyen. Or, le gouvernement est comme toutes les choses du monde. Pour le conserver, il faut l'aimer. »

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express