La larme de Chirac

Elle est enfouie dans un classeur, mais elle existe, cette photo du président pleurant à l'annonce de son élection...
Sera-t-il dur, selon Jospin ? Restera-t-il mou ? Deviendra-t-il grossier, selon l'expression d'Alain Juppé ? C'est du capitalisme qu'il s'agit, celui qui nous attend à l'issue des élections. On attendait du Premier ministre une indication sur ce point. On aura rarement eu l'impression plus vive que l'on se payait notre tête. Alain Juppé nous prend-il vraiment, collectivement, pour des imbéciles ? L'électeur RPR le plus convaincu a dû avaler son mouchoir en apprenant que l'objet de la dissolution était de retrouver l'élan nécessaire pour s'occuper des cantines scolaires ; réduire les heures supplémentaires, supprimer l'ENA... et créer un comité éthique de l'environnement. Vaste programme ! L'emploi ? De quoi parlez-vous ? Et il avait l'air enchanté de lui-même, avec ça ! Sûr qu'il y a au moins un Français content d'Alain Juppé : c'est lui. Un peu plus tard dans la soirée, sur FR 3, Edouard Balladur prit, lui, le taureau par les cornes. « Je suis convaincu, dit-il, qu'il faut plus de liberté dans tous les domaines. » La liberté du renard dans le poulailler ? Pas question de s'attaquer à la durée du travail. Partager le travail est une idée fausse. Du moins son discours était-il cohérent. C'était celui d'un libéral qui s'avançait démasqué. C'était très gentil, cette émission conduite par Michel Field sur le sexe et l'amour, diffusée codée sur Canal+ à 20 h 45. Pas de quoi se voiler la face. On entendit des jeunes gens pleins de sagesse dire des choses raisonnables sur les préservatifs, l'homosexualité, qu'ils respectent, la sexualité des femmes libérées, « Finalement on est plus réac que les 30-40 ans. Surtout les garçons. Ils sont effrayés par les femmes... Une fille qui me propose une fellation, je pars en courant... » On nota que les filles sont plus délurées que les garçons, plus mûres, qu'elles recherchent des hommes plus âgés, qu'elles draguent. On débattit longuement du point de savoir s'il est souhaitable ou non, quand on a formé un couple, de cohabiter avec les parents. Un garçon qui parlait au nom des jeunes catholiques et qui n'accepte pas les commandos anti-IVG déclara : « Ce qui est important, c'est l'amour. C'est l'envie de vivre quelque chose ensemble. Cohabiter avec les parents, il ne faut le faire que par nécessité. » Un jeune couple qui a choisi de rester chaste après avoir vécu ensemble, puis s'est marié, déclara d'un commun accord : « Ce qu'on a vécu pendant notre temps de fiançailles, ça a été fabuleux. » Tout cela fut sympathique et on ne peut plus convenable. Blessée, Christine Ockrent ? Certainement. Mais cette blessure, décelée par Bernard Pivot, c'est ce qui donne à son livre de souvenirs sa part d'humanité. Ainsi donc, elle était vulnérable derrière son beau front lisse. Elle ne s'en cache pas. C'est bien (« la Mémoire du coeur »). Avec elle sur le plateau une journaliste suédoise, Christina Forsne, amie pendant quinze ans de François Mitterrand qui lui téléphonait tous les matins. Elle en parle avec intelligence, sans complaisance, sans impudeur non plus, et apporte un éclairage de plus sur Mitterrand intime. Rien de sensationnel : un témoignage en bémol, où entrent l'amitié et, selon ses propres termes, la compassion (« François »). Maurice Szafran et Nicolas Domenach se sont consacrés, eux, à l'histoire de Jacques Chirac, du trou noir où il se trouvait en 1988, lâché par tous, jusqu'à sa victoire en 1995. Preuve que rien n'est jamais perdu. Ce « Roman d'un président » est bourré d'informations de toute nature et de portraits brillants, en particulier celui de Claude Chirac. Celui de Bernadette, aussi. On apprit que le soir où il a su qu'il était élu, Jacques Chirac a pleuré et que cette larme a été photographiée par Bettina Rheims puis enfouie dans un classeur dont elle ne sortira pas. Sophie Coignard et Marie-Thérèse Guichard ont exploré, quant à elles, les « réseaux » qui recouvrent la France (« les Bonnes Fré- quentations »). Réseaux de Corréziens, de Corses, d'anciens collabos, de francs-maçons, d'homosexuels, d'inspecteurs des Finances, d'anciens trotskistes, de chasseurs, de juifs, de protestants, etc., blocs d'influence unis chacun par une complicité agissante, des solidarités occultes. Un voyage instructif à travers une France insoupçonnée. F. G.

Mercredi, avril 30, 1997
Le Nouvel Observateur