La gloire n'est pour une femme que le deuil éclatant du bonheur

Réflexions sur le statut des femmes américaines, libres et puissantes
S'il n'était pas bien que la femme fût l'esclave de l'homme, serait- il convenable de voir demain l'homme esclave de la femme ?...
C'est la question que pose très sérieusement un éminent journaliste américain à ses lecteurs, après leur avoir appris que les femmes américaines contrôlent actuellement la somme de 210 milliards de dollars, c'est à-dire dix pour cent de toute la fortune privée des Etats- Unis.
Elles sont, en fait, maîtresses du marché financier. Sept femmes siègent au Congrès, et, dans l'industrie, elles commencent à occuper de nombreux postes de direction.
Dans ce pays où le culte de la femme fut porté si haut, les hommes, se sentant menacés, vont-ils réagir ? Le$ féministes, ici et là, protestent avec énergie : « Nous défendrons, disent elles, les libertés que nous avons si chèrement acquises ». Il est vrai que la femme américaine bénéficie de la formule la plus charmante du féminisme. On peut la résumer ainsi : Les hommes font de Vargent pour les femmes qui font ce qu'elles veulent. Si elles ont le désir d'entreprendre une carrière, toutes les portes leur sont ouvertes. Si elles ont de véritables capacités, elles peuvent atteindre aux plus hautes situations.
Voilà qui mérite à coup sûr d'être défendu. Nous sommes loin du féminisme laborieux qui a donné à la femme européenne la liberté suprême de travailler huit heures par jour pour préparer en rentrant le dîner de son mari, loin du sourire à la fois méfiant et condescendant que les femmes rencontrent si souvent lorsqu'elles prétendent accéder à des postes supérieurs, loin surtout du préjugé en vertu duquel le salaire qui rémunère le travail féminin est inférieur à celui que touche un homme qui occupe une situation similaire.
Faut-il conclure que la femme américaine est plus heureuse ? Elle jouit en tous cas d'une situation privilégiée, puisqu'elle a réussi à acquérir toutes les libertés sans enlever pour autant à l'homme américain le sentiment de ses responsabilités et de ses devoirs envers elle.
Certaines femmes, essayant d'introduire ici quelques uns de ces principes, partirent en croisade pour convaincre le monde qu'un homme devrait payer sa femme pour les soins qu'elle apportait à son intérieur, comme il paierait une femme de chambre. Un jour, l'une d'elles exposa avec flamme cette théorie devant un homme qui lui répondit simplement :
— Vous n'oubliez, Madame, qu'un détail. Lorsque je suis mécontent de ma femme de chambre, je lui donne ses huit jours.
L'argument était péremptoire, s'il n'était pas galant. Il est vrai que la dame était fort laide, et que l'on imaginait mal ce qu'un mari eût pu avoir le désir de lui offrir sinon sa liberté.
Elle appartenait à ce type même qui jeta parfois le ridicule sur le mouvement féministe, en France, où l'on pardonne tout aux femmes, sauf d'être dépourvues de charme et de grâce.
Comme beaucoup de celles auxquelles les hommes ne prêtent pas attention, elle avait jugé plus commode de décider que c'était elle qui ne les regardait pas. Au lieu de supporter, comme elle l'eût fait au siècle dernier, l'humiliation et la tristesse d'années monotones passées à faire de la tapisserie dans l'attente d'un hypothétique prince charmant, elle avait réussi, grâce à l'indépendance et aux satisfactions que lui donnait son travail, à organiser une vie relativement heureuse. Ce n'était pas une vieille fille, mais une femme sans homme.
Féministe enragée, elle prétendait qu'un jour prochain, hommes et femmes vivraient égaux. Mais un soir, dans un accès de franchise, elle m'avoua :
— Au fond, c'est impossible. Un homme sans femme, voyez-vous, est un homme libre. Une femme sans homme est une femme seule.
Dans la réussite la plus brillante, il y a quelque chose de douloureux, et l'une des plus authentiques féministes, Madame de Staël, a laissé à ses sœurs cette réflexion qui lui vint après avoir accompli une admirable carrière :
« La Gloire n'est pour une femme, que le deuil éclatant du bonheur. »

Mardi, octobre 29, 2013
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