La douleur de changer

La révolution du travail est partout. Elle ne fait pas coulerle sang mais les larmes
Votre emploi ne vous appartiendra plus jamais. C'est ce que les Américains - et pas eux seulement - doivent apprendre maintenant au berceau. Vous ne vieillirez pas dans votre entreprise. Vous changerez peut-être vingt fois d'employeur dans votre vie. Vous vivrez sous le signe de la précarité. C'est la révolution du travail qu'un excellent reportage de Canal+ a montré dans toute sa cruauté. Ces ouvriers de Boeing, fiers d'appartenir à la grande entreprise, licenciés du jour au lendemain, ces cadres supérieurs enfoncés dans leur fauteuil de directeur, éjectés en une heure, cette masse humaine bousculée, broyée, choquée nous rappelait, hélas, quelque chose. C'est que la révolution du travail est partout. Encore l'Amérique a-t-elle à peu près résorbé ses chômeurs. Mais le marché de l'emploi a changé. On est engagé pour un temps déterminé. Après quoi, il faut chercher ailleurs. On vit dans un état d'insécurité permanente. D'anxiété. Certains préfèrent se mettre à leur compte. Parfois ils y parviennent. Des exemples furent donnés, là comme ici, de cadres licenciés qui ont réussi à créer une petite affaire. Là, au moins, on est son maître. Mais d'autres disent : tout faire pour ne pas divorcer de l'entreprise. Ainsi, en France, ce travailleur d'une fonderie qui a accepté de travailler trois jours par semaine, dont le samedi. Ou cet employé d'Aerospatiale qui travaille le samedi et le dimanche. En semaine, il s'occupe de ses enfants. Tous s'interrogent sur la place du travail dans la vie. Elle a été la première, c'est fini. Peut-être n'est-ce pas si mal? Mais ce formidable effort d'adaptation à la réalité d'aujourd'hui et de demain, combien vont s'y plier sans trop de casse? L'exemple des Etats-Unis où l'on est, théoriquement, plus mobile que chez nous montre que c'est au prix d'une vraie douleur. Cruelle, inéluctable, c'est la révolution du travail. Elle ne fait pas couler le sang mais les larmes. Arte s'est lancée dans une série ambitieuse sur «Quête de sens, désir de croire», qui s'est ouverte par une enquête sur la représentation de l'au-delà que les hommes se sont donnée à travers les siècles, dans ce désir d'immortalité qui est au fond de toute foi religieuse. On évoqua l'Egypte ancienne, les juifs, les Grecs, le christianisme qui, au Moyen Âge, promettait l'enfer pour un oui pour un non. On parla de l'islam, pour qui le Juste a sa place au Paradis où coulent le lait et le miel, instrumentalisation du croyant semblable à celle de l'Enfer. On parla du bouddhisme, qui connaît le nirvana mais pas le pardon... Tout cela, qui aurait dû être passionnant, comme toujours l'histoire des religions, fut débité d'un ton doctoral sur des images sans intérêt. Un pédant ratage. Dommage. Bon numéro, cette fois, de «Droit d'auteurs». Michel Tournier, savoureux quand il navigue dans la Bible (Eléazar), un nouveau biographe de Shakespeare qui donnait envie de le lire et Marie Darrieussecq, la drôle de petite personne dont le roman, «Truis-mes», fait un tabac ? c'est l'histoire dérangeante de cette femme qui se transforme en truie. «Par quel aspect intime votre héroïne vous ressemble-t-elle?», demanda Frédéric Ferney à Marie Darrieussecq. «Par la force.» Sûr qu'il en faut pour secréter un tel livre. Le titre de «Strip-Tease» prête à confusion. En fait, il s'agit d'un déshabillage mental, que cette émission irrégulière réussit parfois avec bonheur. Une caméra observe des personnes quelconques, sans commentaire. Cette fois, «Strip-Tease» rediffusait un de ses clous : une réunion de gens préparant un commando anti-IVG et bavardant entre eux. Tout cela, c'est la faute de Marx, des minijupes et de Valéry Giscard d'Estaing, suppôt des loges maçonniques. D'ailleurs, les loges mènent tout. La Grande Arche et la Pyramide du Louvre sont des monuments maçonniques. Il n'y a que Le Pen qui n'en soit pas. Ah! les braves gens! Autre chose : comment une fille ne supporte plus le copain de son copain. Explication entre les trois intéressés. C'était très joli. Une télévision qui saisit la vérité ordinaire, sans la forcer, simple, nue. «Déconfiture», Pasqua a dit «déconfiture» pour stigmatiser le pouvoir en place? Qu'est-ce que ça signifie au juste? Au juste «défaite totale, complète» (Littré). On accordera à Charles Pasqua qu'il sait son français. F. G.

Jeudi, novembre 14, 1996
Le Nouvel Observateur