L'épouse de la mer

Hommage à la navigatrice Isabelle Autissier, auteur d'une très belle course lors du Vendée Globe. Assorti d'un rapide interview
Hommage à Isabelle Autissier

L'épouse de la mer

Les courses sont faites pour être gagnées. En termes stricts de minutes passées en mer, Isabelle Autissier a gagné le Vendée Globe. Son temps pour tourner autour de la Terre a été le plus court. Mais, handicapée par un accident matériel
quatre jours à terre, elle n'est arrivée que deuxième. Pis : en fonction des règlements, son temps n'a pas été homologué. Elle a prouvé son courage, sa science de la navigation, son accord intime avec la mer, mais tout cela ne figurera dans aucun livre de records. Douleur. Rage. Moment fatal sans cesse remémoré où un bout d'épave est venu frapper sa coque et endommager une pièce vitale. Elle sort à peine de ce cauchemar.
L'accueil qui lui a été fait au retour, aux Sables-d'Olonne, a mis un peu de baume sur ces vilaines meurtrissures.
Elle ne demande pas qu'on parle d'elle, elle ne demande rien. Seulement qu'on se souvienne des faits, quand on évoque cette terrible course.
L'organisateur du Vendée Globe, qui ne l'aime pas depuis qu'ils ont eu un sérieux accrochage, s'est vengé en racontant qu'elle avait renoncé trop tôt aux recherches concernant le marin canadien naufragé qui n'a pas été retrouvé.
C'est une insulte à la vérité, et elle en est meurtrie. Cela fait beaucoup de blessures, mais elle assume... Elle a même retrouvé le sourire de ses yeux bleus, qui lui donne l'air d'avoir vingt ans. Elle en a quarante, navigue depuis dix ans, a remporté quelques victoires, où elle a fait ses preuves, et a gardé le plus important, la confiance en elle.
Quand elle parle de son métier, elle dit :
« Ce n'est pas un métier manuel, c'est un métier intellectuel. C'est dans la tête que tout se passe, l'appréciation d'une situation, la stratégie... C'est pour cela que les femmes y sont à égalité avec les hommes... On n'a pas besoin d'être Rambo pour naviguer.
- Est-ce que les gens de mer sont misogynes ?
- Par tradition, oui. On y raconte qu'une femme à bord d'un bateau porte malheur. Je suis ingénieur « agro halieute » de formation. Quand je montais à bord, on m'accusait d'une mauvaise pêche... Mais ce n'est pas l'état d'esprit des navigateurs: en tout cas, je n'ai pas eu à en souffrir.
- Vous avez parlé de votre métier, tout à l'heure. N'est-ce pas plutôt une passion ?
- Si. C'est un métier dans ce qu'il suppose de connaissances ; de professionnalisme, si vous voulez. Mais c'est une passion.
- Qui vous est venue comment ?
- Je ne sais pas. Mes parents faisaient de la voile... Un jour, j'ai décidé de courir.
- Vous avez des enfants ?
- Non.
- Vous feriez de la course si vous en aviez ?
- Non. On ne peut pas infliger cela à des enfants. Cette attente, cette angoisse... C'est déjà assez dur pour l'homme de votre vie !
- Vos meilleurs souvenirs ?
- La nuit, le silence, la solitude absolue avec les étoiles pour compagnes... Je suis sûre que ces moments-là m'ont rendue meilleure, plus ouverte aux autres.
- Il y a un peu de métaphysique là-dedans ?
- Bien sûr. »
Elle sourit, charmante, dense comme une pierre.
C'est un beau personnage que cette jeune femme qui a épousé la mer, pour le meilleur et pour le pire, et qui a vu son rêve - le tour du monde en solitaire - brisé par une épave.
Mais, au-delà des blessures qui lui en restent, elle est en train de regrouper ses forces. Sûr qu'elle sera de nouveau la première quelque part, Isabelle Autissier. Et que cette fois, on ne lui volera pas sa victoire.

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Figaro