L'éclat étincelant du courage

Portrait de Taslima Nasreen, lors de sa présence à la salle de la Mutualité à Paris. Son procès pour avoir dénoncer les comportements des fanatiques de son pays le Bangladesh devrait se dérouler prochainement.
L'éclat étincelant du courage

Taslima Nasreen n'est pas une pasionaria. C'est un roc.

Elle a un visage un peu boudeur, mais dense, qu'éclaire rarement un sourire, de jolies mains. Elle dégage une force impressionnante. Seules les cigarettes qu'elle fume à la chaîne traduisent une légère nervosité. C'est Taslima Nasreen. Quand deux mille personnes réunies à la salle de la Mutualité, à Paris, lui ont fait ovation, debout, scandant son nom, elle a accueilli cet hommage avec sérénité. Et puis elle a lu un texte sans aspérité, sans lyrisme. Taslima Nasreen n'est pas une pasionaria. C'est un roc. Mais, sous ce roc, il y a une jeune femme exilée, séparée de son pays, séparée de sa famille, séparée de ses amis, isolée dans sa retraite suédoise. Et c'est dur.
Quand je lui ai demandé ce qu'elle faisait tout le jour, elle m'a répondu : « J'écris... J'écris un roman... Mais j'ai de la peine... Je me sens tellement seule... »
La communauté islamique de Suède a fait savoir qu'elle ne s'attaquerait pas à elle, à condition qu'elle ne fasse pas de provocation. Elle n'en fait pas. Elle n'est donc pas en danger là-bas, où seul un très léger dispositif de sécurité l'entoure. Rien de commun avec les forces qui ont été déployées en France pour la protéger, motards précédant sa voiture, véhicules à gyrophare pour fendre les files, escortes de policiers, un appareil digne d'un chef d'Etat. Elle en a été plus gênée que vaine.

L'exil à perpétuité ?

Sa vie est-elle menacée, comme celle de Salman Rushdie ? Un peu moins, si l'on peut en la matière établir des degrés. Pour abattre Rushdie, l'Iran a promis des sommes énormes. N'importe quel mercenaire peut les convoiter. Les religieux fanatiques du Bangladesh se sont limités, si l'on peut dire, à appeler la mort sur Taslima Nasreen en criant dans la rue : « Tuez-la... Tuez-la... » Elle est le diable, le démon, celle qui ose se déclarer athée et s'insurger contre la condition faite aux femmes dans son pays.
Condition ambiguë puisque, paradoxalement, le Bangladesh est gouverné par une femme.
Mais Taslima Nasreen n'appartient pas à l'establishment, c'est une petite-bourgeoise ordinaire, médecin gynécologue. Qu'elle parle est un outrage ; qu'elle dénonce les comportements des fanatiques, une intolérable insulte.
Traduite en justice, son procès doit intervenir le 10 décembre. Elle ne se présentera pas, évidemment. Mais elle saura, ce jour-là, si elle peut envisager de rentrer dans son pays ou si elle est condamnée à l'exil à perpétuité avec la mort rôdant autour d'elle.
En attendant, elle fait ce qu'elle appelle une récolte d'amour. Partout où elle passe, des foules se pressent pour lui dire : « Nous sommes avec vous. Vous êtes l'image de la liberté bâillonnée, au droit d'expression bafoué... Tenez bon ! » Et, dans cet élan, elle puise des forces.
Elle n'a pas de talent oratoire, elle n'a pas de rayonnement particulier, elle n'a pas, apparemment, d'autre message à délivrer que celui qui lui vaut d'être persécutée, mais elle a l'éclat étincelant du courage, un courage tranquille dont on sent qu'il ne la désertera jamais.
C'est un beau personnage, Taslima Nasreen...

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Figaro