Jean Marais ou la ferveur

Il n'a pas assez de mots pour dire sa vénération pour Cocteau. Pourquoi le forcer à parler de leur «relation charnelle»?
On savait les Français changeants, voire versatiles. Ils viennent d'en donner une preuve impressionnante. En décembre ils étaient, selon le président de la République affligé, «conservateurs» . En janvier, hop, c'est fini : «Que de ressources, que d'imagination, que de dynamisme chez les Français!» , s'est-il écrié, réjoui, dans sa bonne ville de Tulle. Troublante métamorphose d'un peuple. Il doit y avoir du Pilhan là-dessous... Qui a envie d'entendre parler d'épilepsie, hors ceux quise sentent directement concernés? C'est une gageure de remplir une soirée avec ce sujet. Elle a été tenue par Jean-Marie Cavada. Ce dont on s'apprêtait à regarder dix minutes par acquit de conscience a été constamment intéressant, émouvant, instructif. Quand on ne connaît pas le «haut mal» qui a frappé César, saint Paul, Richelieu, Flaubert, Dostoïevski, qui affecte 500000 personnes en France et que l'on est témoin d'une crise, on s'effraie. L'épileptique est l'objet d'un court-circuit dans le cerveau qui le raidit, le convulse... La crise passe. Il ne se souvient de rien. Origine? Mystérieuse. Remède? Une pharmacopée intense, mais certains y sont rebelles. Guérison? Possible, en particulier dans certains cas par une opération du cerveau. Un jeune homme, opéré, a décrit son enfer et sa résurrection. Une jeune femme aussi, guérie, elle, sans opération. Il ne faut pas s'écarter des épileptiques. Ils ne sont ni contagieux ni dangereux, ni envoûtés comme on le croyait autrefois. Ils sont malheureux, et ils ont besoin, comme tout le monde, d'être aimés. A 83 ans, Jean Marais le cascadeur a encore son beau sourire carnassier. Il a fait, chez Pivot, la promotion de son livre, «Mes Métamorphoses», avec la bonne grâce qu'il met à toutes choses. Et comme Pivot exaltait sa beauté, qu'il nie, il a plaisanté: «La beauté, le courage physique, la santé, je suis un cas d'injustice de la nature.» Foncièrement, c'est un modeste. Il raconte drôlement qu'il a été bien élevé par une mère affectueuse mais kleptomane. Alors il a volé, lui aussi. Mais ça n'a pas duré. Il n'a pas assez de mots pour dire sa vénération à l'égard de Jean Cocteau, sa ferveur. Fallait-il vraiment lui demander s'il y a eu entre eux une «relation charnelle»? En la circonstance, le tact de Bernard Pivot ne l'a pas étouffé. Il insistait. Marais finit par répondre, simplement : «Oui, mais ce n'est pas ce qui a compté le plus.» Vingt anecdotes émaillèrent son propos, il était charmant, ce vieux monsieur, pas cabot pour un sou. Ce sont de tristes souvenirs qu'a évoqués «le Sens de l'histoire», avec le sort des travailleurs français envoyés en Allemagne pendant la guerre. Il y en eut 600000 qui firent tourner les usines de guerre allemande. D'abord les volontaires. Puis ceux qui étaient censés assurer la relève des prisonniers de guerre. Enfin ceux, les plus nombreux, qui furent requis au nom du STO, le Service du Travail obligatoire, à quoi un certain nombre de jeunes gens se dérobèrent en prenant le large. On les appelait les «réfractaires». Ils s'en furent peupler les maquis. Les conditions de vie des déportés du travail furent sans commune mesure avec celles des déportés politiques. Mais ils en ont gardé un souvenir amer. La France est le seul pays dont le gouvernement a ainsi livré ses hommes par milliers à une collaboration dont ils se seraient bien passés. Sinistre originalité. Un petit film bizarre, mi-document mi-dessin animé, a retracé en 45 minutes la vie d'Alexandre Dumas, qui aurait bien occupé trois heures tant elle fut animée et féconde. C'est un personnage superbe, ce quarteron ardent, romantique, volant de succès en succès et de femme en femme à travers les régimes, se trouvant enfin une guerre à faire, comme papa, à côté de Garibaldi, au lieu de se morfondre comme Lamartine ou comme Hugo sur son rocher... Mais on restait frustré par une formule si réductrice pour illustrer Alexandre le Magnifique... (Arte). Enfin, Edouard Balladur a énoncé son diagnostic sur la situation économique («7 sur 7»). Il faut, dit-il, que 1997 soit meilleure que 1996 et qu'on en prenne les moyens, soit stimuler la croissance et réduire le chômage. Sauf le respect qu'on lui doit, on avait un peu l'impression d'entendre l'ordonnance d'un médecin de Molière... F. G.

Jeudi, janvier 16, 1997
Le Nouvel Observateur