Jacques Benoît, patron et martyr

Il surpayait son personnel, l'associait à ses décisions... Ruiné, il a dû vendre son entreprise. Une histoire banale qui prend au cœur
Philippe Séguin : si l'on a bien compris le message des militants, il s'est planté. Le saint patron du RPR, ce n'est pas le fantôme de De Gaulle, c'est Jacques Chirac. RPF? Niet! RPR? Haut les cœurs! On ne peut pas dire qu'il s'agisse là d'une information bouleversante. Mais c'est amusant, comme toujours le jeu des ambitions. Clinton : cela se calme, provisoirement. La robe tachée de sperme qui devait le confondre n'existait que dans les rêves du procureur, qui doit être un drôle de type pour avoir imaginé cela. Comment supporte-t-on cette pression? Comment supporte-t-on que la presse, toutes chaînes et tous titres confondus, disserte sur le plus intime de votre inti-mité? Il faut des nerfs. Clinton en a. Et sa femme, donc! Il a même fourni indirectement une raison subtile à ses goûts particuliers : la fellation n'est pas condamnée par la Bible et ne peut donc pas être assimilée à un adultère. Conclusion : le président des Etats-Unis peut déclarer sous serment qu'il n'a pas commis d'adultère... Il est tricky, Clinton, comme on dit en anglais pour désigner quelqu'un de compliqué, d'astucieux et de pas très net. Tricky . Un document d'exception a été réalisé par M6 pour «Capital». Une histoire simple et même banale : le patron d'une entreprise de fruits secs, 100 ouvriers, implantée près de Lyon depuis vingt-huit ans, est obligé de déposer son bilan. Jacques Benoît est un patron «social» qui surpaie son personnel, l'associe à ses décisions, requiert son adhésion. Mais, faute de fonds propres, il pratique la fuite en avant, et se retrouve en 1995 avec 80 millions d'endettement. Il y a longtemps qu'il aurait dû réduire ses effectifs. L'entreprise est mise en redressement judiciaire. Un repreneur se présente, une firme allemande. Jacques Benoît n'a pas le choix : il doit vendre. Il va se battre jusqu'au bout pour que ses ouvriers ne soient pas tous licenciés. Lui est ruiné. Il ne pourra jamais rembourser ses dettes. Les banques confisqueront tout ce qu'il pourrait gagner, et sa maison et sa voiture. Telle est l'histoire dont «Capital» a suivi toutes les étapes à travers les interprètes du drame, le personnel rongé par l'attente, le patron déchu, l'administrateur judiciaire, le délégué syndical, le repreneur allemand. Une histoire banale dont chaque péripétie, chargée d'émotion, prenait au cœur. Le talent d'interrogatrice d'Anne Sinclair ne souffre pas discussion. Quand elle met son ego sur le petit écran ? «Je, je, je... moi, moi, moi...» ?, on est plus perplexe. Va-t-elle nous faire la leçon comme ça tous les mois? Son image en est toute brouillée. Mais le premier numéro d'une nouvelle émission n'est jamais au point. Laissons-la tranquille passer et repasser sur son magnétoscope ce qu'elle nous a montré. Elle corrigera d'elle-même. «Arrêt sur images» a illustré sans la dissiper la querelle qui règne dans les médias français et étrangers sur la responsabilité des grands massacres en Algérie. L'un a son témoin oculaire, un déserteur affirmant qu'il s'agit de l'armée régulière. C'est elle qui tue. Même son de cloche sur CNN. Là, il s'agit d'un sympathisant du FIS, parlant de NewYork, qui déclare : «Il s'agit de diaboliser l'islam.» Un autre rétorque que le GIA revendique lui-même les massacres et qu'est-ce qu'il vous faut de plus comme preuve? Un jour la vérité vraie éclatera. Mais restera-t-il un Algérien vivant pour l'entendre? Un homme a sombré. Professeur d'allemand, sa femme l'a abandonné et il ne s'en est jamais remis. Il a glissé lentement dans la déchéance. Maintenant il dort sous les ponts. Il parle de lui avec lucidité et même drôlerie. Chaque fois qu'on lui a tendu la main, il a refusé.«J'ai peur.» Le livre qu'un éditeur lui a fait écrire, «le Cachalot», sera peut-être sa bouée de sauvetage. En attendant, heureux d'être là au chaud, sur le plateau de «Bouillon de culture», à raconter ses petites histoires, il était assez touchant, ce bonhomme. Qu'il était beau, ce puits de lumière où le roi football se pavanait. Admiratif, le correspondant de la RAI qui présentait le stade à l'Italie posa cette question : «La France qui court sera-t-elle capable d'entraîner celle qui a peur?» Mais oui, mais oui. Il faut commencer par y croire. F. G.

Jeudi, février 5, 1998
Le Nouvel Observateur