Incroyables dimanches

Fait la liste des émissions qui se succèdent à la télévision le dimanche et où Jacques Martin tient le haut du pavé : gymnastique, « Dimanche Martin », série américaine, « l'Ecole des fans », s'indigne d'une réflexion sexiste de J. Martin. Se fait moqueus
LA TELEVISION PAR FRANÇOISE GIROUD

INCROYABLES DIMANCHES

Il paraît que c'est comme ça tous les dimanches.
Pour attaquer la journée, des jeunes dames violemment agitées vous invitent à goûter, en les imitant, l'ivresse de la culture physique. La seule chose plus nocive que de ne jamais en faire, c'est d'en faire ; du moins lorsque les exercices ne sont pas adaptés à votre anatomie personnelle. Mais, chut ! Une-deux, une-deux, une-deux. Respirez.
A peine a-t-on perdu les trois cents grammes qui seront repris à déjeuner, un monsieur en smoking dès l'aube — 11 h 15 —, Jacques Martin, entame un ahurissant marathon à l'usage de la France profonde. Quels que soient ses émoluments, il n'est pas assez payé. D'ailleurs, c'est ce qu'il a l'air de penser. En dépit de sa popularité, il donne fréquemment le sentiment qu'il vous en veut de faire ce métier... Qu'il aurait plutôt envie de jouer « Britannicus » ou de chanter « la Flûte enchantée » ou de tourner avec Robert Bresson, à qui il fit sa fête dimanche dernier pendant quatre-vingt-dix minutes, tandis qu'un compère passait en revue les spectacles de la semaine. Bresson ne doit pas, il est vrai, recruter le gros de ses spectateurs parmi les habitués de « Dimanche Martin ».
Le temps d'apprendre grâce aux publicités dans quel four réchauffer des escargots et comment lutter contre la plaque dentaire, de confondre un robot-minute, une super-teinture, un soutien-gorge croisé, d'avaler les informations puis d'hésiter entre un batteur, un grille-pain, un fer à repasser (tiens, encore le four !), de mélanger des boulettes pour le chat, des fromages de chèvre, des biscuits au chocolat... et, hop! revoilà Jacques Martin. Cette fois, il a une commère et des invités. Un Belge qui a inventé une boîte de conserve auto-chauffante : ça marche. Un Français qui s'est bricolé un sous-marin personnel pour vingt-cinq mille francs : ça marche aussi. Convenez que c'est pour rien ! D'autres encore. Incroyable mais vrai. « Et je vous demande d'applaudir très fort. » La salle obéit. Elle est ravie.
Exit Jacques Martin, le temps d'une série américaine, macabre succédané de « Starsky et Hutch » qui passe sur T.F.1. Mais pas question de décrocher... si on allait manquer le retour du chef ! Une petite fournée de produits à consommer dès lundi : un aspirateur, de la moutarde, du fromage blanc, encore le four, un appareil de photo, une automobile... Et c'est lui. Il arrive. Nous voilà à « l'Ecole des fans », l'émission la plus regardée de France, paraît-il. C'est que les chères petites têtes blondes sont là avec papa, maman, mon petit frère et tantine. Cinq ans, six ans. Des petites gueules irrésistibles, il faut bien le dire. Mais ça chante et c'est déjà cabot à faire peur. Il y a cependant un môme parfait, s'obstinant à répéter après chaque exhibition suivie d'une vague d'attendrissement :
« Il a très mal chanté. »
« Et qu'est-ce qu'elle fait, ta maman ?
— Elle travaille dans un bureau.
— Alors qui est-ce qui fait la cuisine à la maison ? »
Ben voyons ! Il doit bouffer des briques si maman travaille.
Encore une grosse pincée de pub, et revoilà Jacques Martin, habillé en cosmonaute, racontant la mort du duc d'Enghien. Fort bien, d'ailleurs, avec un duc aristocratique comme pas deux. Encore une bonne pincée de moutarde, bière, biscuits, crèmes, et nous voilà au « Thé dansant »... Là le budget de l'émission paraît nettement épuisé. Mais une dame vient chanter « Comme un p'tit coquelicot ». C'est une amateur. Elle est très contente. Jacques Martin aussi. « Et je vous demande d'applaudir très fort. » Lui, il chante « Rosemarie », pas du tout en amateur. C'est qu'il sait tout faire, cet homme-là... Et puis, eh bien, il est 17 heures. Il tient l'antenne depuis 11 h 15. C'est fini. Incroyable mais vrai.

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Nouvel Observateur