François le fidèle

Portrait de François Mitterrand, abordé sous l'angle de l'ami fidèle
François le fidèle

Des courtisans énamourés du Prince s'efforcent bien de faire l'affaire, mais lui ne s'y trompe pas. Il en use, s'en amuse, apprécie le cas échéant leur conversation mais reste avare de sa confiance. Celle qu'il réserve à ses amis

Fidèle, chacun vous le dira, François Mitterrand est fidèle. Mais à qui ? A ses idées ? Il lui est arrivé d'en changer depuis le temps lointain où il était un jeune homme pieux séduit par le colonel de La Rocque et ses milices patriotiques, et avant qu'il ne s'abonne au socialisme. Trajectoire dont il s'honore : on va plus rarement de la droite à la gauche que de la gauche à la droite.
Fidèle aux femmes, alors ? Pas plus que n'importe qui, même si certaines se sont inscrites durablement dans sa vie, au milieu d'un essaim plus volatil. Non. Si François Mitterrand est fidèle, c'est à ses amis. Là, il est incomparable. Amis de jeunesse, amis de guerre, amis irremplaçables quand ils disparaissent et que d'ailleurs il ne remplace pas. Des courtisans énamourés du Prince s'efforcent bien de faire l'affaire, mais lui ne s'y trompe pas. Il en use, s'en amuse, apprécie le cas échéant leur conversation mais reste avare de sa confiance. Celle qu'il réserve à ses amis. Le plus ancien, le plus cher, celui dont il pouvait tout entendre, s'appelait Georges Dayan. Ils s'étaient connus très jeunes. Rien ne semblait pouvoir les séparer sauf la mort, qui a enlevé Georges Dayan juste avant que François Mitterrand ne devienne président. Il fut son ombre, son homme lige, sa conscience, son conseiller, celui qu'il ne rebutait jamais, lui qui peut être glacial. Dayan avait, en toutes matières, son oreille, et l'on a pu dire que Mitterrand avait perdu, avec lui, le meilleur de lui-même. Par fidélité à la mémoire de son ami, il a protégé sa veuve et sa fille, comme il l'a fait d'ailleurs pour d'autres, disparus trop tôt. Il n'oublie jamais.
Ami très proche aussi, ami tout court, Patrice Pelât avec lequel il fut prisonnier. Ce n'était pas le même genre. Devenu un homme d'affaires mirobolant qu'il entraînait dans ses longues promenades à pied, Pelat le divertissait et il fut souvent son obligé avant de lui rendre la pareille. Pelat, mort aujourd'hui, a mal fini, mais alors même que son nom était mêlé à une fâcheuse histoire financière, François Mitterrand, s'adressant au pays, prit sa défense en termes vibrants. C'était imprudent. C'était dans sa manière. On n'abandonne jamais un ami. Jamais. Un homme très différent fut l'objet d'une amitié plus récente mais chaude, Jean Riboud. Seigneur de l'industrie, il avait été un admirateur inconditionnel de Pierre Mendès France avant de reporter sur François Mitterrand son entier dévouement. Il était le charme même et on comprend que Mitterrand ait été séduit en retour. L'écoutait-il ? En tout cas il le consultait. Les hommes qui savent faire de l'argent l'ont toujours fasciné, peut-être parce que c'est ce qu'il n'a jamais su faire. Mais il y avait entre eux plus qu'une fascination réciproque, des rapports chaleureux. François Mitterrand a toujours eu le don de provoquer des sentiments affectifs intenses. Jean Riboud est mort il y a quelques années. Il y eut aussi François de Grossouvre, le serviteur dévoué, amoureux éperdu de son maître depuis un voyage commun en Chine, en 1962, plus mêlé que d'autres à sa vie privée, souffrant mille morts de n'être pas l'ami unique et finissant par se tirer une balle dans la tête.
Il y eut enfin des hommes moins connus, obscurs, sans grade, mais auxquels François Mitterrand n'a jamais fait défaut. Il est toujours là pour eux.
Que demande-t-il en échange ? Rien. Ou plutôt tout. Une fidélité aveugle, sacrée, sans faille. Quand on lui a dit que certains de ses amis avaient été choqués par son attitude à l'égard de Bousquet, il a répondu : « Alors, ce n'était pas des amis. » Tout était dit.

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Nouvel Observateur