Et si on leur apprenait le français ?

S'indigne de la perte de maîtrise de la langue française par les adolescents.
Heu, quoi, hum, bof..

Et si on leur apprenait le français ?

Les enfants ne peuvent pas lire, ils ne peuvent pas prononcer correctement plus de dix phrases d'affilée.

De mon temps, nous, les enfants, nous parlions javanais pour empêcher les adultes de nous comprendre. Puis il y a eu le chébran. Tout cela restait innocent.
Ce qui se passe maintenant est d'une autre nature. La langue que parlent les adolescents procède d'un véritablement détournement de sens. On emploie les mêmes mots avec une autre signification, on tord le cou aux verbes, on disloque les adjectifs, on joue avec les syllabes dans une débauche d'invention parfois savoureuse. Ce n'est pas de l'argot, langue relativement figée, c'est un autre langage en perpétuel renouvellement, de sorte qu'il ne servirait à rien de vouloir l'apprendre. Il change tous les trois mois.
Tout cela serait sans gravité, et même d'une certaine gaieté, si, parallèlement, les adolescents apprenaient le français. Mais ils ne le savent pas, ils ne le savent plus, ils ne le comprennent,même plus. Quand ils s'essayent à le parler, ils annoncent des heu, des quoi, des forcément, des bof, tous les dix mots... Et cela me dérange, personnellement, plus que tous les anglicismes.
De même qu'ils ne peuvent pas lire plus de dix lignes d'affilée, ils ne peuvent plus prononcer dix phrases correctement composées. Et c'est dommage. Pour eux s'entend. C'est comme une infirmité.
Aussi était-on tout étonné d'entendre à deux reprises à la télévision, l'autre semaine, des gens s'exprimer avec grâce et simplicité, comme s'il s'agissait de la chose la plus naturelle du monde. C'était dans La Vie de Marianne, téléfilm inspiré de Marivaux, et dans L'Allée du roi, inspirée de Françoise Chandernagor. Aucune affectation. Une belle langue claire, précise, souple... Du français, quoi ! Et de la musique pour nos oreilles, après tant et tant de charabia.
Ensuite, j'ai fait passer un petit test à un garçon.
« Comment est la nuit ?
- Heu...
- Blanche. Comment est la colère ?
- Hum...
- Noire. Comment est la peur ?
- Shit ! (Il jure en anglais, dont, par ailleurs, il ne sait pas un mot.)
- Bleue. Mais tu ne sais rien, mon garçon !
Il m'a répondu entre ses dents :
- Tu fais chier... »
Oh ! Remarquez, c'est du bon français.
On le trouve dans le Littré.

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Figaro