Enfances volées

Ils sont de plus en plus jeunes, de plus en plus nombreuxà sombrer dans la délinquance. Pourquoi? Pour faire comme les grands.

Ces enfants qui volent, qui rackettent les plus jeunes et les dépouillent de leur blouson, des voyous? Pas encore. Ils sont seulement sur le chemin, le chemin pourri de la délinquance où, en 1994, se sont englués 63000 mômes mis en cause pour crimes et délits. Un chiffre terrible. Un sujet terrible. Celui qu'a traité «la Marche du siècle» et qui serrait le coeur, celui des enfants délinquants. Ils sont de plus en plus jeunes, de plus en plus nombreux et souvent armés. Pourquoi? Pour faire comme les grands. Un leitmotiv revient : la manque de père, l'absence d'autorité, à la maison je faisais ce que je voulais... Sans doute, cela n'explique pas tout.

Lorsque la police s'en saisit, placement dans un foyer. Là, c'était à Phalempin, dans le Nord. Ils ne sont pas maltraités mais restent violents, s'agressent l'un l'autre, fuguent. Parfois ils se suicident, retournant la violence contre eux. Sortent-ils amendés de ces foyers? Pas tous en tout cas. Le pire qui puisse leur arriver, une fois majeurs, c'est de se retrouver en prison pour quelque méfait. Alors, ce sont vraiment des enfants perdus bien que, selon certains, qui en débattaient sur le plateau, la sanction soit indispensable, la répression salutaire.

Mais 40% des jeunes détenus deviennent des récidivistes. Un beau jeune homme qui s'est arraché à la spirale infernale et qui est devenu moniteur de planche à voile écoutait, sagement. Il a dit seulement : «Moi, si j'avais été en prison, je ne serais pas là. Je m'en suis sorti parce qu'on m'a aidé.» Aider, peut-on aider? Oui, la preuve. Ce fut la seule note d'optimisme d'une émission tragique. «Envoyé spécial» a déniché une poignée de skinheads au Havre. Trois garçons et une fille... Leur activité principale : ils glandent et ils cognent sur tout ce qui est noir, arabe, juif. Qu'est-ce qui les motive si fort? «C'est la haine.» Il paraît qu'ils sont en quête d'identité. Il se peut bien, mais on n'avait pas envie de s'appesantir, avec les auteurs de l'émission, sur la psychologie du pauvre skinhead.

Bon portrait de Pierre Mac Orlan dans «les Ecrivains du siècle». Il faut dire qu'il s'y prête le bougre, avec la notoriété de son œuvre écrite («la Bandera», «Quai des Brumes», «le Chant de l'équipage») et son bouquet de chansons qui fut longuement effeuillé pour notre plaisir. Grand bourlingueur, grand conteur, Mac Orlan savait se raconter avec une belle verve, de nombreux documents en ont témoigné. Bref l'hommage à lui rendu fut réussi.

Consacrant son émission à l'ARC, Michel Field est allé interroger Jacques Crozemarie. «Est-ce que j'ai l'air d'un voleur?» a demandé l'intéressé. Hum. A chacun de répondre pour soi. Il avait l'air, en tout cas, on ne peut plus content de lui. Suivit, sur le plateau, un débat dont on ne sortit pas beaucoup plus édifié sur le fond des choses. Le sûr est que, selon le mot du président de la Ligue contre le Cancer, «les donateurs sont troublés». Dans l'assistance, une femme suggéra qu'à l'avenir l'Etat assume seul le financement de la recherche et qu'on fasse plutôt la quête pour les militaires. On lui a repris la parole.

Chez Pivot, on parla d'amour et on en parla bien à propos du nouveau film de Bertrand Blier, «Mon homme», histoire d'une putain qui aime son métier. Blier était sur le plateau avec son interprète favorite, Anouk Grinberg, qui sut lire avec simplicité un texte érotique assez chaud. Il y a entre cet homme et cette femme une complicité qui éclate et qui émeut. Du coup, le reste de l'émission parut plus terne. Candidat à Matignon M. Barre? Non. Et non. («7 sur 7») Mais candidat à la parole libre, toujours, et se délectant à la pratiquer. Quelle dégelée aux esprits confus qui mettent Maastricht à toutes les sauces et disent que la France doit réduire ses déficits à cause du traité européen... Foutaise. Il a mis les points sur les i. Il les a mis aussi à chaque question évoquée, le plan Juppé, la Russie qu'il ne fallait pas accueillir au Conseil de l'Europe, etc. C'était franc, carré, impérial. Osera-t-on le chatouiller un peu? On ose. La phrase qu'il a attribées à Mauriac ? «l'homme, un misérable petit tas de secrets» ? est de Malraux. Ce n'est pas souvent qu'on peut le prendre en défaut, M. Barre... Il faut en profiter. 

Jeudi, février 1, 1996
Le Nouvel Observateur