En un combat douteux...

Sur les critiques de théâtre et sur la manière dont les auteurs de pièce reçoivent ces critiques
En un combat douteux...

par Françoise GIROUD

Quand M. Mitty Goldin, directeur de l'A B C, a lu dans Franc-Tireur que le critique de ce journal n'appréciait pas l'un de ses spectacles, il s'est dit :
— Toi, mon bonhomme, je te retrouverai...
Il l'a retrouvé, en effet, la semaine dernière, devant la porte de son théâtre où le critique désirait entrer pour exercer son métier.
M. Goldin, qui n'est pas donneur, lui a refusé une place et l'a proprement renvoyé.
Quand M. Malaparte a lu dans Le Figaro littéraire que M. Francis Ambrière n'aimait ni sa pièce ni sa personne il s' est dit :
— Mon honneur doit être vengé...
Après avoir hésité sur le choix des armes, les deux adversaires ne se sont blessés qu'à coups de communiqués.
C'est à la fois moins dangereux et plus douloureux.
M. Goldin est grossier, M. Malaparte est bouillant, mais ces deux incidents s'inscrivent dans la même série de duels manqués et d'injures réussies entre critiques et critiqués.
Ils ne seront jamais d'accord.
Du côté du critiqué, auteur, acteur, metteur en scène ou directeur, on trouve du talent et de l'esprit au critique le plus cruel, jusqu'au jour où il vous égratigne.
Ce jour-là, de spirituel il devient méchant, d'impartial il devient sectaire.
On cherche immédiatement dans sa mémoire si on lui fit offense, les raisons qu'il peut avoir de vous haïr, les influences qui l'ont poussé à être désagréable...
On incrimine la mauvaise digestion, les opinions politiques du scélérat. Bref, on ne lui pardonne jamais d'avoir écrit sur soi ce que l'on trouvait juste, drôle, ou simplement indifférent, à propos d'un confrère.
L'idée vous vient rarement que l'œuvre soumise à son jugement mérite d'être maltraitée. Si elle vous effleure, on l'écarte parce qu'elle est intolérable.
Plusieurs critiques sont-ils d'accord ? On conclut à la campagne de presse.
Le mythe de la campagne de presse est l'un des plus répandus chez les critiqués. Je dis le mythe, parce qu'il est au-dessus des forces humaines de mettre d'accord deux critiques qui ne le sont pas. Alors, vous pensez, 126 !
Car ils sont 126 pour le théâtre et 146 pour le cinéma dans la région parisienne.
Dans tout critiqué, il y a un homme qui pense :
— Qu'il essaye donc d'en faire autant... Réaction humaine et absurde : il est inutile
d'être grand cuisinier pour savoir qu'une mayonnaise est ratée.
Du côté des critiques... Hé! on souffre parfois de n'être pas grand, ou même petit cuisinier.
« Il faut beaucoup pardonner aux critiques, disait Jules Renard. Ils parlent toujours des autres, et on ne parle jamais d'eux. »

(Suite page 2.)

En un combat douteux...

(SUITE DE LA PREMIERE PAGE.)

Critiquer, c'est « examiner pour faire ressortir les défauts et les qualités », si l'on en croit le grand Larousse.
Ils examinent donc. (Je parle naturellement des vrais critiques et pas de ces nombreux farfelus qui ont choisi ce métier parce que c'est le seul, avec celui de balayeur des rues, que l'on peut faire sans avoir rien appris.)
Ayant examiné, ils font ressortir les défauts, avec le sentiment de rendre service à leur victime.
Ils sont à peu près dans l état d'esprit de ces parents qui disent : « Qui aime bien châtie bien. » A tout âge. les critiques ont des âmes de parents.
Ils sont sévères parce qu'ils boudent volontiers leur plaisir. Ils ne vont pas au théâtre, au cinéma, au concert pour s'amuser, mais pour critiquer, comme leur nom l'indique.
Ils jugent sur le résultat, rarement sur l'eflort.
Ils ont conscience d'avoir une mission : éclairer le public, former son gôût, l'aider à découvrir les œuvres nouvelles ou hardies, l'arracher à son inclination naturelle vers le conformisme.
L'étrange est que, lorsqu'ils créent, ils échappent rarement à ce conformisme et que, connaissant si bien la recette, ils ratent souvent leur mayonnaise. Mais ceci est une autre histoire. Et le public dans tout cela ?
Hé ! il va où il lui plaît d'aller, étranger au combat qui se livre au-dessus de sa tête pour le conquérir ou le convaincre. Un combat douteux, puisqu'il y a autant d'injustice dans un grand succès que dans un grand échec.

Françoise GIROUD.

P.S, — Les amis des Christian Bérard se sont émus d'une phrase concernant la mère du grand peintre disparu auquel je consacrais un précédent article. Ils me demandent de dire ici combien Mme Bérard fut belle, cultivée, fine et charmante, ce dont je m'acquitte bien volontiers, parce que c'est vrai, parce qu'une tendresse profonde unissait la jeune mère morte prématurément et le grand fils de dix-huit ans qui demeura toujours hanté par l'horrible spectacle d'un lit ensanglanté où il la trouva un matin foudroyée par une rupture d'anévrisme.

Mardi, octobre 29, 2013
Carrefour