Elle et lui

Réflexions sur l'amour à partir d'exemple de couple célèbre ou anecdotes de coups de foudre
ELLE ET LUI

par Françoise GIROUD

A Washington, les spécialistes de l'atome se sont réunis en une grande conférence secrète. Mais...
Mais dans une petite ville italienne, un monsieur passionné, grisonnant et soucieux, David O. Selznick, vient d'épouser une dame jeune, belle et neurasthénique, Jennifer Jones, sexhurlante interprète de « Duel au Soleil ».
Mais au Bechuanaland, un homme de vingt-sept ans, noir, souverain de cette contrée de l'Afrique du Sud, Seretse Kha-
ma, a comparu devant 9.000 juges cruels réunis pour l'entendre, parce qu'il a osé épouser la femme de son choix : Ruth Williams, vingt-quatre ans, blonde, blanche, dactylo.
Mais au pied du Stromboli, une femme, Ingrid Bergman, est en train de ruiner sa carrière, sa réputation, son ménage pour vivre dans l'île déserte chère aux amoureux la grande aventure de sa vie avec Roberto Rosselini.
Voilà ! Atomisons, atomisez messieurs, inventez de belles machines à tuer vite et bien, dressez de belles statistiques infaillibles, édifiez en série ce fameux cerveau électronique qui opère en dix secondes les calculs différentiels que le cerveau humain ne résout pas en dix ans, et laissez-moi rire dans ma barbe en vous posant une question :
— Quand un monsieur rencontre une dame, que se passe-t-il ?
Le mécanisme de cette invention-là, personne n'a encore réussi à le démonter. Les conséquences de cette invention-là.

(Suite page 2.)

ELLE ET LUI

(Suite de la première page)

personne n'a encore réussi à les prévoir, fût-ce à l'aide d'un cerveau électronique.
Il y avait une fois en Amérique un homme ambitieux et pauvre qui réussit à épouser là fille du très fameux et très puissant Louis B. Mayer, et à construire avec elle une fortune évaluée à dix millions de dollars.
Un soir, David Selznick entra dans un théâtre de Broadway, et l'excellente machine à gagner des dollars se détraqua subitement parce que sur la scène une médiocre actrice de second ordre apparut.
Pourquoi ce soir-là ?... Pourquoi celle-là dans un pays où les jolies filles sont aussi envahissantes et acharnées que les fourmis rouges ?... Elle avait deux enfants! Il la fit divorcer. Elle n'avait ni nom ni talent. Il lui en donna. Sa femme exigea, pour lui rendre sa liberté,la moitié de sa fortune. Il l'abandonna et en même temps sa situation, fruit de 25 ans de travail acharné.
Heureux? Malheureux ? Qui sait... Amoureux.
Il y avait une autre fois uné Suédoise glaciale et parfaitement organisée qui atteignit une prodigieuse popularité en incarnant, aux yeux du public la vierge forte.
Ingrid Bergman, partenaire insensible des plus grands séducteurs patentés, Jeanne d'Arc d'appellation contrôlée, planait au-dessus des faibles humains. Un monsieur passe... Il n'est ni très jeune, ni très beau, il ne peut rien lui offrir qu'elle ne possède déjà, et la cuirasse de Jeanne d'Arc éclate brusquement.
On découvre en-dessous une petite bonne femme comme les autres qui apprend à dire ce « Je t'aime » en italien malgré le scandale, malgré les menaces, et qui refuse d'entendre la voix de la raison.
L'administrateur américain du film a bien essayé de parler : il en a contracté un ébranlement nerveux et on dut le rapatrier en toute hâte. L'administrateur italien est mort, empoisonné par les gaz délétèrès du volcan. Quant au Français, il a préféré s'en aller avant de tomber malade.
Elle s'en moque. Elle est amoureuse.
Seretse Khama, roi nègre, a voulu faire de Ruth Williams une reine, sans demander d'abord l'accord de ses sujets. Son royaume tremble sur ses bases. Le « Manchester Guardian », écrit : « Sur une plus petite échelle, cette crise est comparable à celle de l'abdication d'Edouard VIII, et ses complications ultérieures sont illimitées. »
Le roi s'amuse : il est amoureux de sa bergère.
Ces histoires-là, on les connaît, parce que les héros en sont plus ou moins des personnages officiels. Mais il y a tous les jours un monsieur qui rencontre une dame, une dame qui rencontre un monsieur pour que dans l'ordre monstrueux d'un monde mathématique, un court-circuit sème l'anarchie.
C'est pourquoi, à la place de Garry Davis, j'essayerais de présenter de toute urgence, Vassili Staline à Margaret Truman.

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
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