Eh bien ! Chantez, maintenant…

S'adresse à Edith Piaf. Tente de lui faire comprendre qu'il est normal contrairement à ce que cette dernière pense que le public s'indigne de sa relation avec Marcel Cerdan, homme marié. « Le cercle de leurs amis ou de leurs relations gronde, prend parti,
Ainsi, mademoiselle Piaf, vous avez « l'impression d'être une femme comme les autres » ?
Du moins, l'écrivez-vous dans ce grand journal où vous confessez en même temps l'espoir d'obtenir ainsi le respect des journalistes et du public pour votre vie privée, qui est devenue, il faut bien le dire, le principal sujet de conversation de vos compatriotes.
Vous avez donné maintes preuves de votre sensibilité et de votre intelligence. Vous n'avez trouvé la gloire qu'au bout d'un cortège de larmes et de misère. Vous êtes généreuse, sympathique et vous écrivez ces sornettes. Quel dommage !
Si vous étiez « une femme comme les autres », vous en seriez, croyez-moi, irritée ou attristée.
A vous lire —- et à lire dans les colonnes voisines Marcel Cerdan — on croirait que la méchanceté et la malignité publiques ne s'exercent qu'au détriment des malheureuses vedettes de la chanson, du sport ou de l'écran.
Croyez-vous vraiment qu'une femme comme les autres puisse impunément nouer une aventure avec un homme marié, fût-ce pour ''parfaire son élévation sociale'', sans s'attirer quelques désagréments ? Qu'un homme puisse rompre un contrat avec un vieil associé sans provoquer quelques commentaires ?
Pour être moins publics que ceux qui vous atteignent, ils n'en sont pas moins pénibles.
Le cercle de leurs amis ou de leur relations gronde, prend parti, intrigue, s'enflamme, envenime. C'est à peu près ce qui vous arrive. Si le cercle de vos relations s'appelle la foule, c'est que l'un et l'autre sont à l'échelle de votre gloire. Quand un professeur de faculté parle pendant deux heures à la Sorbonne, il gagne deux mille francs. Quand vous chantez pendant deux heures à New-York, vous gagnez un million. C'est à-dire cinq cents fois plus.
Si, lorsque ce professeur trompe sa femme, le scandale retentit cinq cents fois moins que lorsque vous - ou toute autre vedette - vivez une quelconque histoire d'amour, permettez moi de n'y voir que la plus équitable des multiplications. Et aussi la justification des énormes cachets dont l'opinion s'émeut parfois. C'est un calcul très simple qu'il faut savoir faire quand on choisit sa voie.
J'ajoute que vous avez sur les femmes '' comme les autres '' un avantage considérable. C'est que rien ne vous interdit demain de vous retirer de la vie publique si vous payez trop cher à votre gré le privilège d'être une vedette.
Mais moi je ne peux pas décider que je chanterai demain salle Pleyel, devant mille personnes. ( Heureusement pour elles ).
Je ne m'intéresse pas personnellement à la couleur de vos soutien-gorge et à la pâte dentifrice qu'emploient nos plus illustres comédiens.
Cependant, je vois dans tous les journaux, sur tous les écrans, d'énormes placards publicitaires destinés à m'en informer aimablement.
Personne ne peut ignorer - à moins d'être sourd ou aveugle - la marque des sous-vêtements de Marcel Cerdan, de la brillantine qu'emploie Gisèle Pascal, du fond de teint dont use Rita Hayworth, pour ne pas parler des opinions politiques dont on fait aussi des affiches.
Ce sont les petits bénéfices d'un grand nom. Ils prouvent que l'indiscrétion est tolérée quand elle rapporte.
N'est-ce pas à propos d'une affaire de gâteaux secs que Marcel Cerdan s'est brouillé avec son manager ? Tous les murs du Maroc devaient proclamer que le champion du monde mangeait les produits de M. Laigneau. Une confidence qui valait cher.
L'admirable est que le public pardonne à ses enfants chéris cette énorme imposture.
Et puis, humble citoyen ou vedette illustre, il y a un moyen bien simple de ne pas livrer sa vie en pâture à la curiosité : c'est qu'elle soit sans histoire.
La vie tient ses comptes mieux qu'on ne le croit, et si elle fait parfois crédit, il faut toujours finir par payer l'addition.