Des hommes en trop

Avec second degré, commente le sort des milliers de Cambodgiens qui fuient leur pays.
Hanoi avait mis au point une technique ingénieuse en exportant le Vietnamien d'origine chinoise. Ainsi, au lieu d'exterminer sur place, ce qui finit toujours par attirer l'attention des personnes sensibles, le Vietnamien superflu est devenu source non négligeable de revenus puisqu'il aura rapporté en un an trois milliards de dollars. Plus que l'exportation du charbon.
Ce n'est pas qu'il y ait dans le monde des acheteurs. C'est que pour embarquer, alors qu'on les expulse, sur d'incertains rafiots, ces hommes en trop doivent acquitter une rançon. En or. Cet or est utilisé pour payer les livraisons d'armes et d'approvisionnements divers fournis par l'U.R.S.S., qui, selon le « Los Angeles Time », a reçu, le mois dernier, un à-valoir de cent millions de dollars.
En somme, le Vietnamien superflu sert, par ce biais, à tuer le Cambodgien réfractaire à la conquête. Excellente organisation.
L'ennui est que, une fois sorti de son pays, le Vietnamien superflu est sans valeur marchande. Au contraire. De sorte qu'après en avoir absorbé un certain nombre — trois cent cinquante mille croupissent en ce moment dans les camps de Thaïlande, de Malaisie, d'Indonésie - les pays du Sud-Est asiatique dits « de premier accueil » les ont accueillis au canon.
Les mœurs internationales sont toujours infâmes. Mais, selon leur code moral, n'est infâme que ce qui est su et malencontreusement diffusé par les télévisions à l'heure du dîner, dans les foyers tranquilles où l'on en a soudain le cœur soulevé.
Parfaitement tolérée jusque-là, l'exportation de Vietnamiens est devenue d'un coup objet de scandale, d'émotion, de dévouements individuels innombrables, d'émulation dans l'exhibition indécente, mais préférable cependant à l'indifférence.
Elle fera, cette semaine, l'objet d'une conférence internationale convoquée à Genève sur le thème : « Comment débarrasser le Vietnam sans nous embarrasser ». Toutes les suggestions sont reçues.
On peut les laisser se noyer. Mais si fort est l'instinct de vie qu'à travers pirates, viols, typhus, tempêtes, ils s'obstinent à survivre et à aborder, au rythme de soixante-dix mille par mois, les côtes les plus inhospitalières. On ne peut pas les noyer, cela ne fait pas partie du code de la morale internationale.
Il est question de leur acheter une île déserte. Là, on viendra des pays de « second accueil » leur soulever la babine comme on fait aux chevaux pour vérifier leurs mâchoires, avant de prendre chacun son lot. Ils pourront y méditer sur l'infini malheur d'être Vietnamien en ce siècle, que ce soit du Nord ou du Sud, de l'intérieur ou de l'extérieur. Jusqu'au jour où l'un d'eux, la haine au cœur, lèvera une armée.
On ne fabrique jamais impunément des hommes en trop.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Journal du dimanche