Dalida sous son armure d'étoile

La biographie consacrée à Dalida par Catherine Rihoit donne l'occasion à FG de faire le portrait de la chanteuse.
Dalida. Nous a-t-on assez rebattu les oreilles avec Dalida, du temps que Paul Gianoli pouvait écrire : « La première agression de Nasser, contre la France, ce n'est pas le canal de Suez, c'est Dalida ! »
N'importe, cette superbe créature au regard louche à la suite d'une douloureuse affection des yeux est devenue la plus populaire des chanteuses populaires après Piaf. Le public en raffolait. Il connaissait tout de ses malheurs et les partageait, il la sentait vulnérable sous son armure d'étoile et compatissait, elle était l'emblème de la réussite oui mais.
Les gens adorent ça, les réussites dont l'envers est tragique. Et le tragique n'a jamais manqué à Dalida, marquée de bonne heure par la peur d'être abandonnée.
Pourquoi en parler aujourd'hui ? Parce qu'un bon écrivain de l'écurie Gallimard, Catherine Rihoit, lui consacre une biographie, écrite avec la collaboration du frère de la chanteuse. Rihoit/Dalida : la combinaison est inattendue. Elle donne un ouvrage bien fait, une complainte de la malaimée qui frôle le mélo sans y tomber.
On sait que cette somptueuse Calabraise à la chevelure exubérante née en Égypte, fille de petites gens, est arrivée à Paris à 20 ans avec l'appétit de Rastignac. L'histoire de ses débuts est banale. Quelqu'un la remarque dans le cabaret où elle se produit, un autre lui donne une chanson... Mais quelle chanson ! Bambino. La pire des rengaines. Un succès fulgurant. La voilà lancée. Elle épouse son Pygmalion. Quelques années plus tard, il se suicidera.
Elle s'éprend d'un jeune chanteur qui court en vain derrière le succès. Il se tire une balle dans la tête, et elle n'oubliera jamais le spectacle du sang coulant sur le visage du jeune homme.
Elle-même va tenter de se suicider avec des barbituriques. Mais une femme de chambre la sauve.
Alors, elle se met à lire Freud et Jung, entreprend une analyse aux Etats-Unis, fait un formidable travail sur elle-même... Car elle est forte, elle est très forte, cette énergie qu'elle déploie en scène n'est pas un simulacre. Mais quelque part quelque chose l'empêche de vivre.
C'est cette fêlure que le public ressent et qui la lui rend si sympathique... On l'aime Dalida.
Sa carrière est superbe, sans ombre, tournées à l'étranger, fans-clubs, disques d'or et de diamant, dans la jungle du showbiz elle est reine, lorsque Gaston Defferre la présente à François Mitterrand, en 1974. Bonne fille, elle sera toujours bonne fille - et séduire, elle va chanter dans les meetings de la campagne présidentielle, se compromet en quelque sorte en devenant l'une de ses familières, et souffre des sarcasmes qu'ainsi elle soulève ici et là.
Le Canard enchaîné s'interroge : « Où Mitterrand va-t-il pouvoir caser Dalida dans son gouvernement ? »
Elle traîne une liaison avec un prétendu comte de Saint Germain. Patatras : le voilà inculpé d'homicide involontaire. Il se suicidera à 43 ans.
Décidément, la mort est sa compagne. Encore une fois le public est avec elle, la pauvre !
Elle chante devant des salles bourrées qui lui font fête, mais suffoque dans la solitude, lorsqu'un médecin, François X, entre dans sa vie.
Est-ce le bonheur, cette fois ? On dirait. Mais France-Dimanche annonce qu'elle veut s'installer avec son beau médecin et fonder avec lui un foyer...
Le médecin n'apprécie pas. Il se défile, cesse de la voir régulièrement, annule leurs rendez-vous à la dernière minute.
Alors, un soir, elle avale cent vingt cachets de somnifère, et se couche dans son pyjama de satin blanc, un verre de whisky à la main. Elle laisse un mot : « La vie m'est insupportable. Pardonnez-moi. » Ainsi fut ce destin d'étoile vécu sous un signe funèbre.
Au jeu de la célébrité, Dalida a gagné. Au jeu de la vie elle a perdu... C'est peut-être que l'on gagne rarement sur les deux tableaux à la fois.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Figaro