Comptes de fées

Trois faits divers à propos d'héritage importants
La lune est nouvelle, les pommes de terre aussi. Les arbres se couvrent de feuilles, les percepteurs aussi. Les caniches vont se faire tondre, leurs maîtres aussi.
Décidément, c'est le printemps. C'est aussi le moment, le seul, l'unique où on se dit :
— J'ai vraiment gagné trop d'argent cette année.
C'est le moment où, ayant additionné des revenus qui sont déjà repartis, on accueillerait volontiers un petit plan Marshall individuel d'aide à l'Européen que l'on est, sous la forme par exemple d'un héritage légué par une tante d'Amérique.
Remarquez que tous les espoirs nous sont permis : une véritable épidémie sévit en ce moment chez lesdites tantes.
L'une, Mme Henriette Garett, vient de mourir en laissant à une jeune sténodactylo berlinoise, Ursula Bauer et à son frère, la bagatelle de 4.700.000 dollars, c'està-dire plus d'un milliard de francs. Elle était la sœur de leur grand-mère.
L'autre, Andréa Sidaubre, laisse à son frère Louis, manœuvre à la scierie mécanique de l'arsenal de Tarbes, et à cinq cousins la somme plus modeste de deux cents millions.
En vérité, on ne sait pas encore exactement s'ils se partageront deux cents millions de francs ou 9 millions de dollars.

Mais à ce point-là, ça n'a plus beaucoup d'importance : pour les habitants de Villeneuvesur- Lot où il vit, Louis Sidaubre est déjà « le milliardaire ». On le regarde, on l'épie, on l'envie.
Devant l'un des innombrables journalistes qui ont été mettre, par obligation professionnelle, leur nez dans les affaires et dans la cuisine de la famille Sidaubre pour démonter à l'usage de leurs lecteurs le mécanisme de ce conte, ou plutôt de ce compte, de fées où une petite arpète de Paquin partie pour les Etats-Unis en 1917 a vécu 31 ans sans donner de nouvelles et meurt en donnant des dollars, devant l'un de ces journalistes, Louis Sidaubre excédé a murmuré :
— Je serais si heureux qu'on me f... la paix !
Il y a quelques semaines, un Anglais riche et sage, Addy Hopkinson, laissait 125 millions de francs au parti travailliste « afin d'aider à éduquer le peuple dans des principes socialistes ». Ses deux fils et sa fille ont trouvé qu'en fait d'éduca tion leur père en manquait totalement.

Et n'aurait-il pas mieux valu pour la paix de son fils naturel, Albert Fillatraud, que Philippe de Ferrari, marquis de Galliera, ordonnât à sa mort la destruction de sa fabuleuse collection de timbres et de l'hôtel Matignon que le malheureux revendique en vain depuis 30 ans et une fois de plus depuis quelques jours ?
D'abord, il ne s'est rien passé de bon depuis que la présidence du Conseil y a élu domicile après l'avoir acheté 100 francs en 1927 à la suite d'histoires si compliquées qu'un prix Cognacq n'y retrouverait pas ses petits.
Si j'ai bien compris ce que je vais essayer de vous expliquer, Philippe de Ferrari, riche mais distrait, n'avait vraisemblablement pas remarqué en 1917 que la France et l'Autriche étaient en guerre. De sorte que léguant à cette époque une part de sa fortune à un fils français, l'autre à un couvent autrichien, et la troisième à 75 personnes de toutes nationalités, il provoqua le séquestre de ses biens qui furent administrés par l'Office des Biens d'intérêts privés.
Intervinrent alors de sombres manœuvres où les capucins autrichiens, les hommes d'affaires du Saint-Siège, l'Etat Français et un étrange avocat belge un tantinet espion firent si bien que, non seulement Albert Fillatraud n'a jamais touché un sou, mais qu'il a encore perdu en 30 ans de procédure tout ce qu'il possédait
Il a failli en outre perdre la vie en tombant, en 1924. de la plateforme d'un autobus où se trouvait justement l'étrange avocat.
Trépané, réduit à la condition honorable mais modeste d'un garçon de café, Albert Fillatraud, qui porte dans ses veines le sang des ducs de Galliera, continue à se battre...

Comme se bat Lardin, le garde-chasse de BoisGérard qui luttera, dit-il, jusqu'à la mort pour entrer en possession des 600 millions de terres et de forêts que lui léguait par un testament retrouvé en 1946 le châtelain Bazin mystérieusement abattu en 1944.
Les experts affirment que le testament est faux.
Les bonnes langues affirment que Lardin est le fils non reconnu du châtelain.
Lardin affirme que toute l'affaire est montée par les héritiers naturels du châtelain, furieux d'être dépossédés.
Là encore, le gros héritage n'a apporté que haines et que drames.
Cette petite énumération n'a pour but, vous l'avez deviné, que de vous convaincre que l'argent ne fait pas le bonheur, formule que je suggère respectueusement à M. le Ministre des Finances de faire imprimer, l'année prochaine, en tête des feuilles d'impôts.

Mardi, octobre 29, 2013
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