Assure-moi que je t'assure…

Sur le remplacement perpétuel des ministres de la Ivème République
Depuis sa naissance, Marianne se plaint :
— Je suis affreusement mal servie, déclare cette jeune personne que l'on appelle aussi familièrement « la Quatrième ». Mon chauffeur a failli me tuer trois fois, mon cuisinier m'empoisonne, ma femme de chambre brûle mes chemises, mon jardinier ratisse les fraises et le précepteur de mes enfants s'enivre tous les soirs.
— Alors, vous les avez renvoyés ?
— Renvoyés ? Ce serait très mal vu, voyons. D'abord, ce n'est pas tout à fait leur faute. Le chauffeur, par exemple, est plombier de profession.
— Et qu'en avez-vous fait ?
— Je l'ai nommé cuisinier.
— Et le cuisinier ?
— Il enseigne maintenant le latin aux enfants.
— Mais il ne sait pas le latin ?
— Quelle importance ? L'autre ne le savait pas non plus.
D'ailleurs, il est devenu jardinier. Le jardinier remplace la femme de chambre, qui remplace le frotteur qui est devenu chauffeur.
Et Marianne s'étonnera le mois prochain d'être aussi mal servie.
Le personnel, par contre, ne se plaint pas. Il est toujours payé à la fin du mois. Chacun est entré dans la maison sur l'expresse insistance de l'un des puissants protecteurs de Marianne, M. Hécéfiho, M. Ergéhère, M. Hémerpet, etc..
Lorsque ces messieurs s'entendent, tout va bien... enfin bien, ou mal.
Les véritables ennuis commencent lorsque l'un desdits protégés met par inadvertance de l'arsenic dans le consommé.
C'est ce qui est arrivé, dit-on, à M. Yves Chataigneau. Ce haut fonctionnaire de 54 ans, agrégé d'histoire et de géographie, est spécialiste des questions slaves. Ce qui le désignait tout particulièrement pour être gouverneur général de l'Algérie où M. René Mayer, député de Constantine, lui reproche vivement d'avoir réussi à réconcilier les chefs des deux grands clans ennemis. Ils n'en font maintenant plus qu'un pour tirer dans les jambes de Français qui n'avaient pas besoin de ça pour boiter.
Quand on se défait d'un employé, on dit qu'il a été « remercié ». On a remercié M. Chataigneau en lui offrant une ambassade. Celle de Prague probablement.
Il y avait déjà un ambassadeur à Prague ? Qu'à cela ne tienne. On nommera M. Dejean à Moscou. Et le général Catroux ambassadeur à Moscou, pourquoi n'irait-il pas se réchauffer au Caire ? Quant à l'ambassadeur au Caire...

Hélas ! C'est comme au jeu des chaises musicales, il y a toujours un danseur de trop.
Recommençons dans l'autre sens, ça s'arrangera peut-être mieux.
Chataigneau quittant son poste, il faut nommer un autre gouverneur en Algérie. Un spécialiste des questions arabes ? Idée saugrenue. Puisque Chataigneau est socialiste c'est un socialiste qui le remplacera. Sinon, M. Hécéfiho se fâchera. Et quand il se fâche, il lui arrive de se fâcher rouge. Marianne a donc diffusé aussitôt une petite annonce :
« Gouvernement en difficulté cherche socialiste pour situation délicate. »
Comme on ne se bousculait pas à la porte, M. Edmond Naegelen s'est dévoué. Député de Strasbourg et ministre de l'Education nationale, tout le désigne pour retirer les Algériens et les Chataigneau du feu. S'il ne met pas d'arsenic dans le consommé, il pourra toujours verser de l'huile dans la chaudière.
Et qui deviendra ministre socialiste de l'Education nationale ? Qui ? Amstramgram- bourrébourrératatam... c'est M. Edouard Depreux.
Ouf ! vous voyez bien que, dans ce sens-là, ça s'arrange mieux.
Remarquez que M. Depreux est bien complaisant. Parce que les ministères, il y a longtemps que ça n'intéresse plus personne. A peine le temps d'enlever quelques contraventions et on se retrouve chômeur. Chômeur sans indemnité.
Car si un ministre en exercice reçoit 25.000 fr. par mois, un ancien ministre ne reçoit que des amis dévoués. À moins qu'il ne soit également député, auquel cas il lui reste son traitement mensuel de 74.000 fr.
Mais, député, est-ce bien une situation d'avenir ? Quatre ans sont vite passés et, pour être député, il ne faut pas seulement des amis, il faut des électeurs.
Dans la maison de Marianne, les ministres ont le rôle ingrat des femmes de ménage. On les prend, on les remplace, on en prend d'autres, un jour pour la lessive, le lendemain pour servir à table...
Tandis que les hauts fonctionnaires, préfets, gouverneurs, tandis que les diplomates ne perdent leur poste que pour en recevoir un autre.
900.000 fr. par an pour les préfets, 930.000 fr. pour les autres, plus quelques menues indemnités, ce n'est évidemment pas le Pérou;
Mais c'est en somme une assurance que les parlementaires prennent contre les accidents du travail, assurance d'un type aussi rare que perfectionné puisque, au lieu de payer les primes, ce sont les assurés qui encaissent.

Mardi, octobre 29, 2013
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