Anne Sinclair, tricoteuse de la politique

Anne Sinclair publie un livre de ses souvenirs de rencontres avec les hommes politiques, « Deux ou trois choses que je sais d'eux », très réussi selon FG.
Un point à l'endroit, un point à l'envers... On s'amuse et on s'instruit. Un travail de virtuose.
D'abord une confidence : le président de la République et le premier ministre s'invitent à leur gré à la télévision. Leur désir est un ordre ; Anne Sinclair ne dissimule pas qu'elle s'y est conformée, interlocutrice privilégiée, pendant treize ans, des hommes en place.

« 7 sur 7 », c'est fini. Alors, elle a pris la plume pour les confesser après la grande tornade de la dissolution, et ils se sont laissés aller. Parce que c'était elle. C'est à déjeuner qu'elle a opéré, en tête à tête, un Chirac triste, abattu, presque résigné, un Juppé repentant sur tel ou tel point, un Balladur très seul formant avec son Sarkozy « un couple diabolique », un Jospin détendu, heureux dans son costume fripé. Elle a confronté ce qu'ils lui ont dit avec ses souvenirs propres, avec les remarques sollicitées auprès d'observateurs bien placés, et elle a tricoté le tout, un point à l'endroit, un point à l'envers, en virtuose...
Le résultat est tout à fait réussi. On s'instruit et on s'amuse. Voici Balladur au firmament de sa notoriété, sûr d'être élu. Interrogé sur son bilan, il appelle son directeur de cabinet Nicolas Bazire, et lui demande :
« Nicolas, trouvez-moi un échec... »

Voici Giscard qui reçoit Anne chez lui, « Quelle que soit l'heure à laquelle j'ai rendez-vous, j'ai toujours attendu dix minutes chez Giscard. » On sert le thé. « L'entretien est toujours plaisant avec lui car il est intelligent, sans doute plus que les autres, méfiant, sans doute moins que les autres, et méchant à peu près comme les autres. »
Voici Chirac en campagne, après la défection de Delors, brandissant « la fracture sociale » et Mitterrand disant, ébahi : « Ce type est un truqueur, il se fait élire à gauche. »
Président pour sept ans, que fait-il ? Il casse la baraque... Pourquoi ?
« J'étais certain que le choix qui était devant nous, c'était les élections ou la rue. Or on ne sort de la rue que par des « Grenelle » comme en 68. Et les Grenelle, je connais, Ça coûte horriblement cher. »
L'explication ne tient pas debout, il n'en a pas d'autre. Il dénie toute influence sur sa décision à son entourage. Se séparer de Juppé ? Il n'y a jamais pensé.
Après le premier tour, s'il a laissé s'agiter le duo Séguin-Madelin, c'est parce que tout était perdu.
Le portrait qu'Anne Sinclair trace d'Alain Juppé et l'entretien qu'ils ont ensemble seraient presque attendrissants. « Qu'avez-vous donc tous à le trouver si intelligent, disait Balladur, il ne l'est pas tant que ça. » Les deux hommes se sont haïs pour une histoire de salle à manger. Aujourd'hui, Juppé procède à un examen critique de son action. Il a proposé sa démission plusieurs fois. Chirac l'a refusée. « Un : vous êtes le meilleur. Deux : je n'ai pas de solution de rechange. » Séguin ? Caractériel. Bayrou ? Ne fait pas le poids. Balladur ? Impossible.
Giscard ? Ridicule. C'est ce qui se chuchote en ville où Pilhan se répand en accablant Juppé. Ce Pilhan qui a laissé Anne Sinclair pétrifiée quand elle l'a vu taper dans le dos du président et le quitter d'un « salut Jacques ! ».
Juppé reconnaît qu'il a formé un mauvais gouvernement. Mais Chirac disait : « Qu'est-ce qu'un ministre de plus ? Ça leur fait tellement plaisir. » La vraie question qui se posait : pourquoi étions-nous si pauvres en hommes de gouvernement ? Réponse de François Pinault, chiraquien de choc, à l'auteur : « Ou bien les vieux n'ont pas su organiser la relève, ou bien les concepts de droite n'attirent plus personne. »
Ce sera, ici, le mot de la fin mais le récit d'Anne Sinclair en est riche qui éclairent les acteurs de ce curieux épisode, unique dans l'histoire, où un président de la République s'est soudain coupé la main comme par inadvertance. C'est tout à fait intéressant.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Figaro