Allons-y !

Réflexions sur la lâcheté et l'indifférence d'une grande partie des hommes. Réagit après la réception d'une lettre concernant la mort héroïque au combat de Jean Prévost « Avait qu'à pas y aller ».
À la suite d'un précédent article où j'évoquais la mémoire de Jean Prévost, tué au combat dans le maquis du Vercors, un correspondant anonyme m'écrit « Avait qu'à ne pas y aller... Il en est probablement convaincu puisqu'il a dépensé 15 francs de timbre pour me le faire savoir et qu'il a pris grand soin de déguiser son écriture sous d'impersonnelles majuscules.
Pourtant, je crois l'avoir reconnu. C'est monsieur — ou madame — « Fallait-pas-qu'il-y-aille ». C'est lui qui a ricané au mont des Oliviers, qui a regardé Galilée s'humilier devant ses juges, qui a passé quatre années d'occupation le derrière vissé sur sa chaise, qui a vu mourir pour des convictions opposées Jean Prévost et Robert Brasillach avec la même indifférence teintée de mépris pour ceux « qui y sont allés ».
Je ne saurais lui répondre au nom des morts, mais au nom de quelques vivants, je voudrais vous assurer, monsieur, qu'ils ne regrettent rien, ceux qui « y vont » avec leurs armes, avec leur plume, leur fortune ou simplement leur foi, et qu'ils ne vous demandent ni indulgence ni approbation.
Noël-Noël raconte l'histoire de trois petits garçons qui étaient ensemble en classe.
Le premier fait un jour éclater un pétard. Le deuxième l'a vu.
— J'ai défendu que l'on joue avec des pétards. Qui a désobéi ? demande le professeur.
Les deux enfants se taisent.
— Si le coupable ne se livre pas, toute la classe sera punie, déclare le professeur.
Alors, le troisième petit garçon se lève et dit :
— C est moi, m'sieur...
Et pendant qu'il copie cent fois : « Je suis un élève désobéissant », le premier se prépare à faire éclater d'autres pétards, tandis que le second va tranquillement jouer dans la cour en se disant : « Après tout, ça ne me regarde pas ».
Le premier, c'est le salaud, l'exception.
Le troisième, c'est le héros, l'exception.
Le deuxième, qui n'a rien fait et qui se tait, c'est l'indifférent.
La foule, c'est M. « Fallait-pas-qu'il-y-aille... » C'est celui qui affectionne les rôles d'arbitre, qui compte les coups, mais qui ne les donne jamais, parce qu'il n'aime pas à en recevoir.
Pourtant, du fond de sa vie paisible, il demeure grincheux et toujours prêt à protester lorsqu'on rend hommage à ceux qui ont su combattre, toujours prêt à triompher lorsqu'un éditeur courageux se ruine, lorsqu'un prophète se fait huer, lorsqu'un homme politique est abattu, toujours prêt à vous démontrer qu'il a raison de demeurer tranquillement dans sa chambre.
Hé oui ! vous avez raison, monsieur, si vous attendez que le succès couronne vos hardiesses, que les décorations récompensent votre courage, que la justice s'exerce à votre profit.
Vous obtiendrez beaucoup plus aisément fortune, légion d'honneur, approbation générale et indulgence de vos juges en menant prudemment votre barque à travers les récits de l'opportunité.
Mais faites du moins à ceux qui « Y vont » la grâce de croire qu'ils se moquent des honneurs comme vous vous moquez de l'honneur.
Ce n'est pas en rapetissant les autres que l'on se grandit.
À la pointe de tous les combats il y aura toujours quelques hommes, qu'il s'agisse de défendre une parcelle de terre, une idée, une conception nouvelle de l'art ou de la science.
Derrière il y en aura toujours d'autres qui les regarderont tomber en murmurant : « fallait pas qu'il y aille »... ou triompher en murmurant : « Il y en a qui ont de la chance... »
Ils ont toujours de la chance, monsieur, même lorsqu'ils tombent.
Et la preuve, c'est qu'au-delà de la mort, vous leur en voulez encore.

Mardi, octobre 29, 2013
Carrefour