«Serais content d'être au paradis»

Traducteur de la Bible, du Nouveau Testament et du Coran, André Chouraqui demande la vie éternelle? Dieu lui doit bien ça
Je ne comprends pas. Faut-il avoir une agrégation d'histoire pour voir ce qui distingue le communisme du national-socialisme? On s'étripe à ce sujet, ici et là, depuis la publication du «Livre noir du communisme». On pourrait dire, par exemple, que le communisme a été un rêve qui a sécrété le plus sanglant des cauchemars et que, en son sein même, des opposants épouvantés se sont levés et l'ont payé de leur vie, tandis que l'abomination nazie était au programme dès le premier jour et qu'aucune résistance ne s'est dressée contre elle. Le national-socialisme n'a pas eu son Soljenitsyne ni son Boukharine. Horreur pour horreur, cela disjoint les deux barbaries si l'on tient à les comparer en des joutes stériles puisque, on le sait depuis Paul Valéry, l'histoire est la science des choses qui ne se répètent pas. C'est même sa leçon la plus importante. Elle n'enseigne rien. Alors cessons de radoter. Sans rapport avec ce qui précède, je ne comprends pas non plus pourquoi la disposition de la loi selon laquelle il fallait demander la nationalité française à 18ans pour l'obtenir a disparu. C'est important, une nationalité, ça ne se prend pas comme un café. C'est un acte fort. Alain Finkielkraut a soulevé la question à «Polémiques», où se trouvait Jean-Pierre Chevènement. Mais elle s'est noyée dans un débat brouillon. «Le Club de l'Economie», animé sur LCI par de bons journalistes, recevait vendredi M. Seillière, le futur président du CNPF. Il a de l'allure, il a même du charme; mais il fait «grand patron» en diable. Et il y en a beaucoup de petits, au CNPF. Mais peut-être seront-ils satisfaits d'être ainsi représentés. A quoi sert le CNPF? On ne sait pas bien. Il le dit lui-même : il n'a «aucun pouvoir» . Mais il peut avoir de l'influence. Pourquoi cette déclaration tonitruante, affirmant qu'il allait déstabiliser le Premier ministre? Se prendrait-il pour le chef de l'opposition? Mais non, mais non, on l'a mal compris, il ne fait pas de politique. Ah! ces journalistes! En attendant, il sabote tant qu'il peut les 35heures auprès de tous les patrons qui seraient tentés d'essayer. C'est ce que Ernest-Antoine Seillière appelle ne pas faire de politique. Interrogé par F.-O. Giesbert sur Paris-Première, André Chouraqui nous a entraînés loin de ces trivialités. Son sujet : Dieu, dont le vrai nom IHVH doit rester imprononçable. Dès qu'on donne un nom à Dieu, on le transforme en idole, Moïse l'a dit... Rien de ce qui concerne IHVH n'est étranger à André Chouraqui. Il a traduit la Bible, le Nouveau Testament et le Coran. Les trois religions monothéistes, leur inspirateur et leurs prophètes sont ses intimes. Donc, le Dieu de la Bible est le dieu de l'Alliance. Mais qu'est-ce que Dieu, sinon la plus ancienne invention des hommes? Un être mystérieux, la puissance créatrice qui fut, est, sera à jamais, qui n'en finit pas de créer. Qu'a apporté le christianisme? Une meilleure civilisation, la philosophie, l'art, la musique... Le drame est que le christianisme et l'islam ont voulu convertir le monde entier, nommer chacun leur dieu et se sont ainsi édifiés en ghettos. Mahomet a voulu réaliser l'Alliance. Personne ne l'a écouté. André Chouraqui, pour sa part, n'est pas «tout à fait croyant» . Pour cela il faut se libérer de son propre ego. «Mais je serais bien content, dit-il, d'être au paradis!» Dieu lui doit bien ça. L'agitation était à son comble. Les invectives volaient. En février 1997, une pétition circulait engageant à la désobéissance civique aux lois Debré. Parmi les signataires, le réalisateur Bertrand Tavernier. Le ministre délégué à la Ville et à l'Intégration Eric Raoult prend sa plume et l'invite à se rendre pendant un mois dans «un quartier sensible», la cité des Grands-Pêchers de Montreuil, en Seine-Saint-Denis. «Vous vous rendrez peut-être ainsi compte que l'intégration ce n'est pas du cinéma», écrit-il. Bertrand Tavernier est un homme de combat. Il fonce aux Grands-Pêchers avec son fils Nils et y reste trois mois. Les débuts ont été difficiles. Hostilité, rejet, méfiance, phobie des caméras. Ce qu'il a trouvé? Rien d'idyllique assurément. Mais quelque chose de beaucoup plus complexe que l'enfer annoncé. Il a tourné sans scénario, sans a priori, dans un certain désordre. De ce désordre jaillit la vie qui saisit au cœur. KO, M. Raoult (France2). F. G.

Jeudi, décembre 11, 1997
Le Nouvel Observateur