«C'est pas lui le patron?»

pourquoi ne fait-il rien?
C'est une gentille petite ville du nord de la France, Etaples. Les deux meurtriers des quatre jeunes filles assassinées y habitaient. La Une y a dépêché l'un de ses bons journalistes. Il a fortement suggéré que l'alcool, le chômage et la misère avaient beaucoup à voir avec le crime et, pour montrer comment les jeunes gens d'Etaples s'y abreuvent d'alcool, il en a filmé quelques-uns affalés dans un café, le dimanche soir. L'ennui est qu'il a tourné le dimanche à midi et que, pour illustrer son propos, il a organisé une petite mise en scène. Tout cela n'est pas bien méchant, dira-t-on. Mais les habitants d'Etaples ont été ulcérés par le portrait fallacieux fait de leur ville. La presse régionale s'est emparée de l'affaire. La chaîne régionale aussi. Et «Arrêt sur images» l'a naturellement pointée du doigt. Ce n'est pas un scandale, c'est une faute. Mais les habitants d'Etaples ne regarderont plus jamais la Une du même oeil. Sondage miniature auprès de quelques jeunes gens qui ont regardé le chef de l'Etat :«Il était sympa, très sympa...», «tonique», «moi je l'ai trouvé chiant, ce mec», «pourquoi il dit tout le temps : je vais demander au gouvernement? C'est pas lui le patron?», «ce n'est pas si simple. Il a de bonnes intentions», «ouais, et puis après il ne se passe rien», «si je trouve un boulot, je lui enverrai une carte postale» etc. Pas d'acrimonie, donc. Du scepticisme... Un discours qui est passé sur eux comme l'eau sur l'aile d'un canard. Rien vu, à part cela, de bien ébouriffant cette semaine. Sous un titre qui se voulait alléchant, «Sexespionnage», France3 a diffusé un documentaire sur l'usage que le KGB a fait de jolies personnes pour séduire des étrangers bien placés et leur arracher des secrets. Cela ressemblait à un mauvais roman, mais il y fut fait allusion à l'ambassadeur français Maurice Dejean qui multiplia les imprudences jusqu'à ce qu'il se trouve rappelé à Paris. Là, de Gaulle le reçut et l'accueillit par un «Alors Dejean, on baise?» que les auteurs du documentaire n'ont pas cru devoir rapporter. Dommage, cela eût donné un peu de piquant à ce plat document. Pour célébrer le Salon du Livre, Bernard Pivot avait réuni quelques romanciers. Frédéric Ferney aussi à «Droit d'auteurs ». Mais qu'il est donc difficile de parler de romans. A peine peut-on en saisir l'esprit... Celui de François Nourissier est noir, avec de féroces éclairs comiques («le Bar de l'escadrille»). Dans une construction savante, il dit la courbe d'une vie jusqu'à la décrépitude et la mort. L'esprit de Philippe Sollers, c'est l'arc-en-ciel. Il lança à Nourissier : «Vous avez écrit un très bon roman naturaliste...» Compliment ? ou critique ? qu'on ne risque pas de lui adresser. En retour, Nourissier nota que Sollers écrivait comme on conduit sur des plaques de verglas. Son livre, où il oscille entre Rimbaud et Hölderlin, avec des lambeaux d'autobiographie, est d'un homme brûlé par la littérature, «cette affaire très sérieuse» (Studio). Chez Ferney, irréalisme absolu avec Van Cauwelaert dont le héros meurt à la première ligne et ne cesse de voir ce qui se passe autour de lui. Une bonne idée, un peu étirée peut-être. Enfin, il y eut Angelo Rinaldi avec «Dernières Nouvelles de la nuit», un beau roman mélancolique d'une écriture aiguisée où le narrateur apparaît si vulnérable, si fragile, si drôle aussi parfois... Chez Pivot, Teresa Cremisi présenta «les Lettres de Simone de Beauvoir à son amant américain Nelson Algren»... Recueil attendrissant d'une femme de 40ans saisie au corps par l'amour et qui l'écrit comme une midinette un peu pionne... En somme on a de quoi lire, cette saison. Claires, précises, vibrantes, Simone Veil et Elisabeth Guigou ont réglé leur compte aux hommes politiques et au sort qu'ils font aux femmes, leur attitude se durcissant au fur et à mesure qu'ils se sentent plus menacés. Simone Veil fit une remarque intéressante : les Françaises, écartées du champ politique, ont pris de la place dans le champ économique. En Hollande et dans les pays scandinaves, c'est le contraire. Pourquoi? Parce que chez nous, le pouvoir est politique tandis que dans ces pays il est économique. Elles furent l'une et l'autre excellentes de bout en bout, en particulier pour parler de Renault sur quoi elles ont aussi quelques idées. Des femmes! Voyez-vous ça! («7 sur 7»). F. G.

Jeudi, mars 13, 1997
Le Nouvel Observateur