« Non, décidément, non Monsieur Perrin. Merci ! » - Les jeunes comédiens qui entrent chez Molière ont-ils médité cette réplique de Lucien Guitry ?

L'entrée de trois jeunes comédiens à la Comédie Française. Giroud les invite à être indisciplinés.
Les jeunes comédiens qui entrent chez Molière ont-ils médité cette réplique de Lucien Guitry ?
Trois jeunes comédiens, Jean Marais, Georges Marchal et Jacques Charron, viennent d'être engagés à la Comédie-Française.
Lorsque, au siècle dernier, M. Perrin, alors administrateur de l'illustre maison, voulut engager Lucien Guitry, qui venait d'obtenir le 2e prix de tragédie et de comédie au Conservatoire, Guitry lui répondit :
— Non. monsieur Perrin. Gagner peu, ne rien faire de l'année, puis jouer Mithridate en matinée le jour du Grand Prix et recommencer l'année suivante, avouez que ce n'est guère possible. Non, décidément, non, Monsieur Perrin, merci !
Si les trois nouveaux élus connaissent cette anecdote, ils peuvent méditer dessus.
Les engagements à la Comédie-Française ont souvent suscité des incidents et des polémiques.
En 1924, l'engagement de Mmes Lucie Brille, Servières et Simone Delaury, que de trop pressantes recommandations avaient accompagné, provoqua le départ de l'un des plus brillants sociétaires. Pierre Fresnay, qui désapprouvait de tels procédés.
MAIS s'il est difficile d'entrer au Français, il est également difficile d'en sortir.
Pourtant, un comédien illustre disait :
« Le plus sûr moyen de faire carrière à la Comédie-Française, c'est de la quitter avec fracas. »
Ce que firent, entre autres, Marguerite Moreno, Edwige Feuillère, Alcover, Coquelin, Le Bargy, Maurice Escande (qui y revint), André Luguet, Victor Francen, etc.
Lorsque ce dernier entra à la Comédie-Française, un critique très au courant des tours et détours du sérail eut ce mot :
— Voilà un engagement qui n'amuse pas Hervé, mais il ne s'en plaindra pas.
— Pourquoi ?
— Parce qu'il ennuie encore plus Alexandre !
Peu de temps après, Victor Francen quittait le théâtre après une orageuse représentation de « Christine », au cours de laquelle sa partenaire Mary Marquet, qu'il devait épouser quelques jours après, gifla un spectateur.

En 1904, Mme Marthe Brandès, qui venait de créer avec un éclatant succès « Le Passé », de Porto Riche, demanda à passer de six douzièmes et demi à la part entière. Quels que fussent les mérites de la belle artiste, le saut était trop grand. Les comédiens refusèrent. Elle partit en claquant les portes.
Mlle George, sous l'Empire, quitta elle aussi la maison, et quand elle souhaita y revenir, elle se heurta à l'hostilité de ses anciens camarades. Mais elle avait un protecteur puissant: Napoléon. Le maître parla. Les comédiens s'inclinèrent.
C'est grâce à la fugue d'une charmante pensionnaire, Mme Allan Despréau, que Musset fut introduit sur la scène de la Comédie-Française.
Elle était partie pour Saint- Pétersbourg, où l'on jouait déjà Musset, et lorsqu'elle revint, pardonnée et réintégrée, elle apporta, en cadeau de retour, le merveilleux théâtre réputé « injouable », et notamment « Un Caprice ».

Enfin André Luguet fit aussi un départ remarqué. Il n'avait pu s'accoutumer aux intrigues de la maison. Son entrée avait soulevé de vives jalousies, son départ fit la joie de nombreux rivaux.
Il le savait si bien que, lorsque le jour où il quitta le théâtre, il entendit ses « amis » sabler le champagne dans la loge voisine de la sienne ; il leur fit doucement remarquer :
« On m'avait dit que le Français était une grande famille. C'est vrai. Mais c'est une famille qui tue le veau gras au départ et non au retour du fils prodigue. »

Voilà de quoi faire réfléchir Jean Marais, Georges Marchal et Jacques Charon.
Il est vrai que M. J.-L. Vaudoyer a promis à Jean Marais de lui faire jouer Hippolyte à la rentrée.
« Jeune, charmant, traînant tous les cœurs après soi... »
Joli programme pour un débutant.
Et si ces jeunes gens ont envie d'être indisciplinés, ils penseront au mot de Fernand Ledoux, qui voulait, lui aussi, quitter la Comédie-Française :
« C'est, disait-il, le seul théâtre du monde où l'entrée des artistes s'appelle administration. »

Mardi, octobre 29, 2013
Paris-Soir