Toujours plus tard, comme s'il s'agissait d'huile de foie de morue...
Avec Jacques Delors, interrogé par Pierre-Luc Séguillon sur LCI à propos de Copenhague, l'Europe retrouvait soudain des couleurs et d'abord celles de la passion. Ce jour où les dirigeants entérinent l'adhésion de dix nations nouvelles à l'Union européenne est un grand jour, dit-il avec émotion. Ah! il sait la vendre, lui, l'Europe. En ces heures qui commencent à ressembler furieusement à une veillée d'armes et où George Bush marche avec de gros sabots sur la dignité du président français en téléphonant ses «conseils» s'agissant de la Turquie, jamais le besoin d'Europe n'a paru plus impérieux. La prestation triomphante de Nicolas Sarkozy à «100minutes pour convaincre» (France2) devrait faire réfléchir. Que signifie être «bon» à la télévision? Personne ne discutera, je suppose, qu'il l'a été au-delà de ce que ses supporters attendaient, et qu'il a effacé un Le Pen démodé, une Elisabeth Guigou piètre adversaire. Comme on dit en anglais, il a volé le spectacle. Pourquoi? Un : il a vieilli. Dominés, l'excès d'assurance, l'immodestie juvénile si irritante. Deux : interrogé, il répond de telle sorte que son interlocuteur est obligé de l'approuver. C'est subtil. Par exemple : «Quoi, Monsieur, pour vous, ce n'est pas un crime de violer une adolescente?» Je ne sais pas si c'est une figure de rhétorique, mais c'est une technique efficace. Quand il fait rire à propos du droit du sang en disant : «S'il avait existé, je ne serais pas là, et avouez que ce serait dommage» , il n'attend pas qu'on lui rappelle ses origines étrangères. Il n'attend pas les coups, il les désamorce. Enfin, ce que l'avocat le plus habile ne peut pas fabriquer, il en use et ça marche, c'est la sincérité: «J'agis parce que je crois que ce que je fais est juste.» Tout le monde peut dire cela la main sur le cœur, mais il y a la manière pour y faire croire. Nicolas Sarkozy, se présentant devant les Français à l'agrégation de télévision, a eu la bonne manière. Cela ne me transformera pas en groupie de Nicolas Sarkozy, mais le travail bien fait mérite toujours hommage. Rapport n°2 commandé par le ministre de la Culture à une dame très diplômée : «Evaluation, analyse et propositions concernant l'offre culturelle à la télévision». Après Blandine Kriegel, c'est Catherine Clément qui est sur la sellette. Son rapport a une vertu rare : il est bien écrit, humoristique, gai. L'auteur ne se prend pas trop au sérieux, même si elle examine scrupuleusement toutes les raisons qui empêchent les chaînes de diffuser du culturel avant 11heures du soir, ce qui en limite par force l'accès à un public réduit. Horaires mis à part, pourquoi ce qui a une couleur culturelle éloigne-t-il la plus grande partie du public? 90%! Faut-il s'y résigner? Viser une reconquête? Selon moi, tous ceux qui lisent, voient des expositions, vont au concert, s'intéressent régulièrement à la vie culturelle, s'inscrivent à l'intérieur d'un cercle de 2millions de personnes en France, où se recrute l'audience d'Arte. Les autres 58millions la boudent à la télévision. On dira que ce devrait être précisément le rôle du service public de leur ouvrir le domaine enchanté de la culture. Sans doute. Essayons. Mais il y faudrait un Jean Vilar. Anne Sinclair fait un effort remarquable dans le sens du culturel tous publics. Si son poète de la peinture, Hector Obalk, ne va pas chercher ses peintres trop loin des noms qui «disent quelque chose», il est capable de former une génération tant sa parole est vive et sa science réelle. Max Beckmann, le peintre allemand, c'était limite. James Bond, en revanche, dans ses différentes incarnations, était tous publics. Souchon aussi, adorable comme toujours, modeste, effrayé parce que «le monde est dur» , aimant évoquer «le parfum des choses passées», mais quand on pense au passé, on ne se souvient pas des moustiques. Quoi encore? Le philosophe Michel Onfray, qui n'est pas un philosophe ordinaire. Ce libertin écœuré par l'enseignement public a créé une université populaire à Caen. Là, tous les soirs à 18heures, il y a cours pour ceux qu'anime le désir de la philosophie. On a vu aussi une belle danseuse, Bianca Li, et une jeune femme iranienne qui publie des bandes dessinées subversives pour raconter son pays. Dommage qu'on en arrive à parler de culture, ces temps-ci, comme s'il s'agissait d'huile de foie de morue à faire ingurgiter aux Français réfractaires pour qu'ils grandissent. Alors qu'il ne s'agit que de l'aimer. Télévision encore : un débat à «Arrêt sur images» (France5) à propos de la violence, avec projection d'images, laissait perplexe. La réaction aux images de violence est purement subjective. Quels critères appliquer au moment d'interdire ou de couper? Moi, je ne supporte pas «Buffy», cette série américaine diffusée par M6, qui doit reprendre en février, pleine de vampires. D'autres trouvent inoffensif et même drôle qu'un homme mette la tête de sa femme dans la machine à laver (France2). La Fontaine nous l'a enseigné: on ne peut pas plaire à tout le monde et à son père. F. G.
Jeudi, décembre 19, 2002
Le Nouvel Observateur