Une friction au gant de crin pour les intellectuels accusés de trahison
Est-elle d'en haut, est-elle d'en bas, un peu métissée sans doute, en tout cas il y a une France de droite qui s'enorgueillit et dont les militants ont porté à la présidence de leur parti Alain Juppé. Ils auraient pu faire pire. Alain Juppé est un tourmenté, mais il est décent. «Trouvez-moi un normalien qui sache écrire», avait dit de Gaulle à son entourage. Ce fut Georges Pompidou. On sait la suite. Normalien sachant écrire, et inspecteur des Finances de surcroît, Alain Juppé était destiné au premier cercle de la politique et comptait y entrer auprès de Giscard, qui, pour une raison ou une autre, l'a écarté. Alors il s'est tourné vers Chirac à qui Jérôme Monod l'a chaudement recommandé. Les voies du destin sont impénétrables. Un Juppé giscardien n'aurait jamais été en situation, dimanche, de devenir président des droites unies en attendant de viser la plus haute marche. Une grande période droitière s'ouvre donc devant nous, et il ne s'agit pas seulement de ceux qui gouvernent ou qui gravitent autour du pouvoir, mais de tout le tissu annexe qui en sera irrigué. Rien d'inédit mais, selon certains, un chemin qui peut conduire à une droite très dure. C'est le diagnostic de Daniel Lindenberg, professeur de sciences politiques à Paris-VIII, qui publie un petit livre de cent pages au vitriol intitulé «le Rappel à l'ordre». Un appel à la responsabilité des intellectuels, qui évoque un ouvrage célèbre publié en 1927, «la Trahison des clercs». Julien Benda accusait les intellectuels de son temps d'oublier les valeurs universelles, liberté, vérité, justice, au bénéfice d'un prétendu réalisme rimant avec cynisme, et de saper la démocratie en la débinant furieusement. Le procès fait par Daniel Lindenberg à quelques intellectuels renommés (Finkielkraut, Taguieff, Marcel Gauchet, bizarrement assimilé aux précédents) rejoint celui intenté par Benda. Les intéressés, dits «nouveaux réactionnaires», s'insurgent, mais cette friction au gant de crin leur sera peut-être salutaire. Pornographie, violences sur l'écran petit et grand, le gouvernement est en ce moment sur le fil du rasoir entre l'ordre moral et l'ordre tout court. Le premier est insupportable, le second craque sous toutes ses coutures et il y a une forte demande de la société pour qu'il soit réhabilité. C'est l'ordre pratique. S'agissant de la prostitution, interdite dans la rue et chassée de ses quartiers, Nicolas Sarkozy a eu cette phrase étonnante : «Il s'agit de protéger les victimes, qui sont les riverains de ces quartiers qui doivent rentrer chez eux entre une haie de filles dénudées, de proxénètes et de détraqués.» Aucun ministre de l'Intérieur n'a encore osé suggérer que les victimes de la prostitution, ce sont les habitants des bons quartiers. Pornographie et violence à la télévision, le rapport commandé à Blandine Kriegel par le ministre de la Culture est, pour ce que j'en sais, factuel, raisonnable. Il ouvre des pistes. Des milliers de rapports dorment dans les placards de la République, que personne n'a lus sauf les souris. Celui-ci échappera-t-il à ce sort funeste? On n'éradiquera pas la violence en la prohibant des écrans, mais on peut réduire celle des plus jeunes en réactivant la loi de 1989 qui interdit violence et pornographie à la télévision entre 6h30 et 22h30. Le plus grave, dans le cinéma moderne, c'est que l'auteur de violences, l'assassin, le coupable n'est jamais puni à la fin. C'est lui le héros auquel il est proposé de s'identifier. Drôle de leçon de conduite. Anne Sinclair a réussi une nouvelle émission bien rythmée, divertissante, variée. On a vu un étourdissant amateur de peinture, Hugo, qui la ferait aimer et comprendre à un aveugle. Solomon Burke, le pape de la soul, qui doit bien peser 200kilos et qui chante, assis, «Jésus est descendu dans ma vie», est une savoureuse spécialité américaine. Il a 21enfants. Dans la maison du Cateau-Cambrésis où se trouvent réunies 82œuvres de Matisse, on peut voir une curiosité. Agé, Matisse dessinait à distance avec une sorte de perche. Ainsi a-t-il tracé, au-dessus de son lit, au plafond, quelques visages : ceux de ses trois petits-enfants. Isabelle Huppert était, comme toujours, simple et tranquille. Personne ne se prend moins pour une star. Manu Chao le bien-aimé chante beaucoup mais se montre peu. Pour les beaux yeux d'Anne, il vint roucouler. Il a du charme, et déclara avec une profonde conviction : «On vit sur une planète qui ne fonctionne pas?» Le fait est? (France3). F. G.
Jeudi, novembre 21, 2002
Le Nouvel Observateur