Au théâtre à Moscou, sur la plage à Bali, demain où ?...Plus rien ne protège des kamikazes
On a beau être blindé, ce qui s'est passé à Moscou secoue. Dès les premières images, il était évident que Poutine, avec son visage aigu de rat blanc, commanderait l'assaut. Ou alors il lui restait à changer de métier. Du commando tchétchène les Russes ont fait du pâté, femmes y compris bardées de ceintures d'explosifs mais pétrifiées par un gaz incapacitant. Lequel, mal maîtrisé, a endormi pour toujours un nombre impressionnant d'otages au lieu d'aider à les délivrer. Il y a comme un défaut dans cette manœuvre. Elément nouveau qu'il faut intégrer à nos réflexions : parmi les nombreux dangers de la vie moderne, plus rien ne protège de rencontrer des kamikazes. Sur la plage à Bali, au théâtre à Moscou, demain où? Voici le temps des assassins. L'expression n'est pas élégante mais elle s'impose : Nicolas Sarkozy est en train de faire un enfant dans le dos à la gauche. Même sur la double peine, ce cheval de bataille ô combien justifié, le ministre de l'Intérieur a déclaré le débat ouvert. La double peine, on le sait, c'est l'expulsion vers son pays d'origine qui attend tout condamné étranger quand il a accompli sa peine. Il s'agit le plus souvent d'hommes qui sont en France depuis dix ou quinze ans, qui ont des enfants, nés français. Ils n'ont aucune chance de se réinsérer dans un pays natal où ils ne connaissent personne. Il apparaît que Nicolas Sarkozy a saisi plus vite que les gouvernants de gauche ce qu'il y a d'inutilement cruel dans cette disposition de la loi. Il a dès maintenant le bénéfice moral de la mettre en question. Même remarque pour le contrat d'intégration. A l'observer attentivement dans ses récentes interventions tous azimuts, on constate qu'il joue en même temps l'électorat de droite, qui apprécie les décisions musclées, et celui de gauche qui, pour une bonne part, les approuve également mais ne se résigne pas à en convenir. M. Sarkozy réserve à ceux-là ses sarcasmes, gauche caviar, intelligentsia, angélisme? Parfois ils y prêtent le flanc mais la société si dure où nous sommes serait encore plus égoïste, plus féroce aux faibles et aux démunis si des dizaines, des centaines de personnes ne se démenaient pour les défendre et les soutenir un peu. Néanmoins, M. Sarkozy ne détesterait pas faire savoir que, selon une formule célèbre, la gauche n'a pas le monopole du cœur. Tout cela coïncide avec le Chirac nouveau cru, qui rend un hommage appuyé à Zola ? «Il impose des images perturbatrices bouleversantes pour la bonne conscience conservatrice et puritaine?», qui est irréprochable sur l'Irak et nous enlève un clou dans la chaussure avec la PAC. Tout cela achève de décontenancer le personnel politique d'opposition. On leur retire le pain de la bouche, aux socialistes. Malgré un peu d'agitation dans son secteur, Luc Ferry tient la rampe à l'Education nationale. Il faut dire que le charme de ce philosophe romantique est grand, comme le lieu où il place son ambition : faire baisser de quelques points les échecs scolaires. En attendant, il publie «Qu'est-ce qu'une vie réussie?» (LCI). Ce titre doit être entendu dans son sens ancien, quand une vie «bonne» était celle qui sauvait votre âme à l'heure du salut. Préoccupation un peu ringarde? N'en rien croire. Jamais demande n'a été plus répandue d'un «sens de la vie», seul capable d'atténuer l'angoisse de la mort et de l'après. Mais les vieilles recettes sont obsolètes. Si l'homme a toujours besoin de transcendance, de sacré, il ne sait plus où les trouver. Alors quoi? Luc Ferry, chrétien matérialiste qui lit et relit l'Evangile de Jean, plaide pour une spiritualité laïque, ni morale, ni religieuse, du sacré à visage humain. Il faut aimer un peu plus, c'est l'amour qui donne un sens à ce que nous faisons, espérer un peu moins. Pas de vie éternelle en vue. Reste à mieux cerner cette transcendance, cette spiritualité indemne de morale et de religion. Guy Bedos et Thierry Ardisson se sont réconciliés, ça ne vous passionne pas, moi non plus. Mais ce fut le prétexte, sur France 2, à une rétrospective de Guy Bedos réjouissante, d'une grande drôlerie. En prime, Renaud, le chanteur ressuscité, avec sa bouille attendrissante de communiant qui a bu le vin de messe. Toute la soirée fut joyeuse, ou presque. De la bonne télévision populaire. L'émission s'acheva sur une note grave : Mme Mackie, une jeune femme rescapée de la tragédie de Toulouse, est venue dire l'inacceptable : les indemnités aux victimes promises par le patron de TotalFinaElf, Thierry Desmarest, n'ont jamais été versées. Mme Mackie remue le ciel, la terre et le gouvernement bien qu'il ne soit pas en cause (France 2). F. G.
Jeudi, octobre 31, 2002
Le Nouvel Observateur