La nature est bonne, l'homme, mauvais. Son orgueil doit être puni. Mais sans lui, nous dormirions encore dans les arbres
Prévisions budgétaires pour 2003 affichées sur le petit écran : culture, moins 5%; défense, plus 8%. Toute une philosophie. Certes, M. Raffarin doit compter ses sous. Croissance en recul, chômage en expansion, le capitalisme a la grippe, ça lui passera, il s'en remet toujours, comme les serpents, régénéré. En attendant, il faut faire avec. Alors on déshabille Pierre pour habiller Paul. Jean-Jacques Aillagon pour habiller Michèle Alliot-Marie, ah misère! Dans le même temps, il semble que l'augmentation de la redevance qui s'impose aujourd'hui sera refusée au ministre de la Culture par soumission à l'une des plus dérisoires «exceptions françaises». Là où chacun paie un abonnement à l'électricité, à l'eau, au téléphone, indépendamment de sa consommation, on renâcle devant la redevance, c'est-à-dire l'abonnement à la télévision. Avec consommation gratuite! Alors, sous couleur de l'épargner aux utilisateurs les plus modestes, on ne l'augmente pour personne. Il y a même eu un ministre assez inconséquent pour en abaisser, une fois, le montant! C'était François Léotard. Ça ne lui a pas réussi, le pauvre. L'actuel ministre de la Culture s'échine à réclamer du service public un effort culturel plus prononcé. Il a bien raison. Mais on finance avec quoi? «La culture, c'est tout» , disait de Gaulle quand il a créé un ministère pour André Malraux. «La culture, c'est la vie!», disait François Mitterrand, et il a augmenté le budget de Jack Lang. Surtout, Malraux et Lang ont eu, dans cette fonction, l'appui constant du président de la République. Jean-Jacques Aillagon a toutes les qualités requises pour faire un ministre de la Culture qui ne soit pas un ectoplasme. Mais si, dans les ultimes arbitrages, l'actuel président de la République dit : «La culture, c'est trop cher, je préfère un porte-avion, mais qui marche, celui-là, vous entendez, Raffarin, qui marche!», Jean-Jacques Aillagon n'aura plus qu'à méditer sur les limites de son pouvoir. Sera-ce la fonte des glaces? La hausse du niveau de la mer? L'asphyxie par ce lourd nuage brun qui sertit déjà le ciel en Inde et en Chine? La Terre, notre mère à tous, semble mal barrée. Ou plutôt l'humanité, car la Terre en a vu d'autres. L'humanité court-elle à sa fin? Au milieu du copieux baratin qu'a suscité le sommet de Johannesburg, Arte a interrogé une série de scientifiques de haut niveau sur l'avenir prévisible. On fut dans le catastrophisme prudent jusqu'à ce que l'un de ces messieurs dise : «Un mystère demeure. Nous travaillons à partir des mêmes observations, nous avons le même matériel d'investigation? Comment se fait-il que nous ne soyons pas d'accord?» Plus troublante encore, la déclaration de ce scientifique danois, ancien de Greenpeace, qui constate, lui, qu'il est absurde d'engloutir des milliards pour combattre le réchauffement de la planète, inéluctable, alors qu'on pourrait sauver 2 millions de vies chaque année en aménageant l'accès à l'eau potable. Il va se faire tuer, cet hérétique. Le dogme postule toujours que la nature est bonne, c'est l'homme qui est mauvais, impie, dont l'orgueil doit être puni. Mais sans l'orgueil de l'homme, où en serait-on? Nous dormirions encore dans les arbres. Comme les singes. Morne rentrée, d'autre part, où l'on s'attend à chaque instant à apprendre que l'aviation des Etats-Unis a attaqué l'Irak, ô folie? L'anniversaire du 11 septembre est le prétexte à une débauche de bons documents mais qui ne sont pas exactement roboratifs. L'un, de Thomas Johnson, montrait comment on devient terroriste. Rien à voir avec la misère, tout avec l'ivresse de participer à la conquête du monde (France 3). Deux Français, les frères Naudet, ont collé aux pompiers alors que les tours s'écroulaient. Résultat saisissant (France 2). Le son des corps tombant dans le vide, qui s'écrasent. Les visages de ces pompiers ordinaires transcendés par leur héroïsme. Inoubliable. Remarquable aussi, dans un autre genre, le travail de l'Anglais Brian Lapping, toujours efficace, qui sait donner l'illusion d'assister à l'accouchement de l'Histoire. Ici, l'union sacrée des chefs d'Etat contre Al-Qaida pour soutenir la riposte de Bush après le 11 septembre (France 2). Riposte que Lapping approuve, quand «Télérama» l'interroge, parce que «seuls les Américains ont le mental pour ça». Les Européens ont seulement envie de vivre tranquillement ensemble et, pour cela, ils ont eu l'intelligence de s'unir économiquement mais ils n'ont plus ni réflexes ni armée pour réagir aux attaques. Bref, entre les barbares en mouvement, le capitalisme grippé, les glaciers qui fondent et Bernard Tapie promu maître à penser sur la première chaîne française, nous avons de quoi alimenter nos cauchemars. Et cependant, la vie est belle mais, comme les femmes, elle a besoin qu'on le lui dise de temps en temps.
Jeudi, septembre 12, 2002
Le Nouvel Observateur