Chapeau : Ce que les étrangers aiment dans notre pays? La «qualité de la vie»? Et si les Français savaient qu'ils sont seuls à posséder ce trésor, ils seraient plus attentifs à le préserver
Raffarin ? Il aborde son programme par la prison pour les enfants. Ce n'est pas parce que M. Raffarin est fâché avec l'éloquence, ainsi que chacun a pu l'observer relayé depuis l'Assemblée, qu'il faut le sous-estimer. Tous les genres sont bons en politique, y compris le genre plat, quand on inspire confiance au pays. Or son problème est là. La vision, l'étoile sur laquelle la France doit avoir les yeux fixés pour tenir son cap, c'est le métier du chef de l'Etat. Pour le 1er janvier, Villepin lui fournira le lyrisme. Raffarin, lui, est aux fourneaux. La première réforme mal engagée, c'est lui qui la prendra dans la gueule. Alors il aborde son programme par la prison pour les enfants, cette horreur qu'imposerait l'insécurité, obstinément rétive aux yeux doux de Nicolas Sarkozy. Avec cela, le Premier ministre est tranquille. Il a le grand nombre avec lui. Les retraites, ce sera une autre affaire. C'est la boîte à malices. Qui n'est pas concerné? Si un sujet peut mettre la population dans la rue, c'est celui-là. Le vent est mauvais. Proposer un «revenu d'épargne» à des salariés qui observent ce qui se passe aux Etats-Unis et en France à la Bourse, il faudra le faire! Aussi l'exercice est-il prudemment remis à la fin du premier semestre de 2003, après les élections prud'homales. A-t-on assez ricané sur Jospin qui ne s'attaquait pas aux retraites? On ne taquinera pas M. Raffarin. Sa prudence est légitime. Mais la confiance est un sentiment volatil qui a besoin d'être entretenu. Ce discours-programme en avait l'ambition. Il faut que des actes suivent. Si, à la fin de l'été, les Français commencent à se dire : « Qu'est-ce qu'il y a de changé, qu'est-ce qu'il a fait, celui-là, à part mettre des gosses au trou? », ils ne le chasseront pas à coups de fourche mais ils commenceront à lui mener la vie dure. D'un coup. Et alors, adieu les réformes! Bernard Pivot a encore trouvé des étrangers de choix qui aiment les Français («Double Je», France 2). Cette fois, il a déniché un écrivain britannique, Peter Mayle, qui écrit des livres sur la Provence dont la diffusion mondiale est telle que des Japonais viennent lui demander des autographes. Il travaillait dans la publicité à New York. Un jour, il s'est dit : je ne veux pas mourir idiot. Et il a mis le cap sur le Luberon, où il vit de sa plume, heureux. Il adore les Français, sauf cette terrible habitude qu'ils ont d'être en retard. Lui succédait Alice Kaplan, historienne, auteur d'un ouvrage remarquable sur Robert Brasillach, publié en France l'an dernier. Dans son cas, on trouve une histoire d'amour avec la langue française, découverte dans un collège suisse à 15 ans. Maintenant, elle souffre quand les Français emploient des anglicismes! Alice Kaplan n'est pas pessimiste quant à la présence intellectuelle française aux Etats-Unis. On lit Deleuze, Derrida dans les universités. En revanche, Richard Seaver, traducteur et éditeur, dit : «L'Amérique s'est fermée culturellement. Elle se détourne des Français.» Cet amant de notre littérature est triste. Seaver a été le traducteur de mon premier livre publié aux Etats-Unis, en 1974, «Si je mens», édité par une grande maison, Houghton & Miffin. Celle-ci appartient aujourd'hui à Universal! Il n'y a quasiment plus d'éditeur indépendant aux Etats-Unis. Enfin Semyon Bychkov, chef d'orchestre, prit manifestement plaisir à raconter ses tribulations de Russe émigré aux Etats-Unis et venu en France pour diriger l'Orchestre de Paris. Ce qu'il apprécie le plus, en France, c'est «la qualité de vie» . Les Français savent-ils qu'ils sont seuls à posséder ce trésor? Ils seraient plus attentifs à le préserver. Alexandre Jardin, vu au «Monde des idées» (LCI), porte allègrement son hérédité. Son grand-père était le directeur de cabinet de Pierre Laval, homme de l'ombre au cœur de la politique de Vichy. Son père, Pascal Jardin, fut un romancier brillant et un scénariste réputé. A 20 ans, Alexandre publiait son premier roman «le Zèbre», et décrochait la timbale. Depuis, il ne cesse de publier. Aujourd'hui, il a toujours l'air d'un enfant, mais le petit moteur qui l'habite l'a propulsé dans l'action parapolitique. Il ne s'agit de rien de moins que de changer ce qui ne va pas en France non par les voies du pouvoir mais en procédant par la bande. Méthode simple qu'il a mise à l'épreuve. Il la décrit dans «Un plus un plus un». C'est tout ce que l'on veut sauf bête, ce qu'il propose. «Avant l'oubli» réunit les récits de sept rescapés de Buchenwald, Dora, Ravensbrück, Dachau, Mauthausen, dont Jorge Semprun et Germaine Tillion. Résistants ordinaires, expériences effarantes, photos clandestines mêlées à des photos de propagande, souvenirs encore insupportables aujourd'hui à ceux qui ont vécu cela. Bientôt il ne restera plus personne. Alors le prix de ces témoignages recueillis par Francis Girod et Alain de Sedouy est immense (sur France 3 le mercredi 17 juillet). F. G.
Jeudi, juillet 11, 2002
Le Nouvel Observateur