Philippe Labro fait avec brio les portraits de Kennedy, Hemingway, Allen, Melville? et, entre les lignes, le sien
Le portrait ? que les Américains appellent le gros plan, ils l'ont inventé ?, c'est le journalisme en gants blancs. Là, on ne met pas les mains dans le cambouis? L'équipement est simple : des antennes qui captent le non-dit, partie parfois la plus intéressante d'une rencontre. Philippe Labro en a de très fines. Cela éclate dans «Je connais gens de toutes sortes», recueil de portraits publiés dans la presse et actualisés chacun par un commentaire inédit. Il sait faire, Labro. En vérité, il sait tout faire. Il a ce talent multiple, toujours suspect à ceux qui n'en ont aucun, dont les contemporains de Jean Cocteau par exemple n'ont jamais tenu quitte le poète. Un touche-à-tout, disait-on. Philippe Labro a touché à tout, avec un succès à peu près constant, ce qui aggrave son cas. Grand reporter, metteur en scène, romancier, parolier, «anchor man» à la télévision, directeur d'une grande station de radio, il a excellé partout, donnant le sentiment que tout lui était facile, ce qui est faux. Rien n'est jamais facile et il a, autant qu'un autre, plus qu'un autre, sa bonne dose d'angoisse. Mais avec ce physique de jeune premier sûr de tomber la fille d'un sourire, et sa cascade de gros tirages depuis «l'Etudiant étranger», il a toutes les apparences d'une assurance qu'il n'a pas. Ses amis le savent, c'est pourquoi ils l'aiment. Il n'est sûr de rien, surtout pas de lui. C'est pourquoi il est si habile à détecter chez les autres, sous la faconde, la fêlure, la peur de la mort, le grain de folie, le lambeau d'enfance, tout ce qui passe dans ses portraits. Le recueil commence par celui de John Kennedy bien sûr. Bien sûr parce que «l'Etudiant étranger» que fut Labro a été marqué à jamais par cette expérience, envoûté par une certaine Amérique et pas seulement celle que l'on croit, il connaît par leur nom tous les oiseaux de la forêt du Michigan. L'Amérique est devenue, ensuite, son pré carré journalistique. Dans les années 50, il en tirait, il faut le dire, une certaine vanité. En un mot, le jeune Labro la ramenait. Aussi bien, n'est-ce pas le Labro d'Amérique qui me touche dans son livre mais l'autre, celui auquel la vie a appris que tous les hommes sont fragiles et singulièrement les créateurs, celui qui se glisse en eux pour parler d'eux. Son histoire avec Jean-Pierre Melville est un petit chef-d'œuvre de tendresse et de sensibilité, de douleur aussi, celle de n'avoir pas été Melville. De Pierre Lazareff il dit avec les mots justes que notre patron commun n'était qu'amour y compris avec «les cons» . Des hommes secrets, comme Jean-Jacques Goldman, Jean-Luc Godard, Jean-Paul Goude si étonnant, se sont laissé surprendre. Malraux aussi, et Woody Allen et Jack Nicholson? Et Hemingway, «toujours le même jeune homme qui mouillait le bout de son crayon du bout de sa langue à la recherche du mot vrai, de la phrase vraie et qui poursuivait inlassablement ce qu'il n'arrivait pas à définir comme l'excellence. Ecrire une fois, une seule fois, une vraie phrase, disait-il». Romain Gary en rêvait aussi. Ils se sont flingués tous les deux. Prenez garde à l'écriture. FRANÇOISE GIROUD «Je connais gens de toutes sortes», par Philippe Labro, Gallimard, 352 p., 19,5 euros. En chiffres Habitué des succès, Philippe Labro a vendu 430 000 exemplaires de «la Traversée» (1996), 125 000 de «Rendez-vous au Colorado» (1998) et 275 000 de «Manuella» (1999), tous réédités en Folio. «Je connais gens de toutes sortes» a été tiré à 50 000 exemplaires.
Jeudi, février 14, 2002
Le Nouvel Observateur