La fameuse cassette de Ben Laden? Hitler aurait pu en enregistrer une semblable, entre amis, à Berchtesgaden
La télévision par Françoise Giroud L'événement, bien sûr, c'est la cassette. L'autocongratulation du sinistre barbu. Il a une vilaine nature, cet homme. Si la vidéo avait existé en son temps, c'est le genre de cassette que Hitler aurait enregistrée, entre amis, à Berchtesgaden, après le premier bombardement de Londres par la Luftwaffe. Le récit de la jubilation du tueur par lui-même. Ben Laden n'a pas les chars d'assaut ni les bombardiers, mais il a maîtrisé les technologies modernes. Comme le révèle cette cassette, il est le roi du marketing pour vendre son produit, Allah, à des consommateurs fanatisés. Aussi dangereux que son funeste prédécesseur dans la rage de plier le monde à sa volonté. On espère apprendre sa capture chaque fois qu'on prend les informations, mais non, on n'entend que le recensement des bombardements américains sur Tora Bora et des morts israéliens et palestiniens de la journée. En regardant les Quinze réunis à Laeken, on avait envie de leur crier : «Faites quelque chose! Vous ne pouvez pas laisser tomber Arafat, ce vieux brigand? Vous ne pouvez pas entrer dans la logique de Sharon, cette tête de bœuf?» Mais les Européens comme les Américains semblent avoir une patate chaude dans la main, avec le Moyen-Orient. Alors on n'a pas fini de compter les morts que les télévisions se complaisent à énumérer minutieusement, un enfant de 8 ans, un enfant de 12 ans. Le 11 septembre a envahi également les documentaires. L'un, sur M6, voulait montrer comment le jour fatal fut vécu aux Etats-Unis par les huiles. C'était sans nécessité. En revanche, «Une gloire amère», soit New York trois mois après les frappes, vu par Amos Kollek, avait une vraie substance, le regard d'un vrai cinéaste sur une plaie encore ouverte en chaque New-Yorkais (Arte). Un visage inattendu a surgi dans l'émission de Franz-Olivier Giesbert sur la 3, celui de Renaud Camus, ce bon écrivain peu connu qui a déclenché l'an dernier une tempête avec des textes d'un antisémitisme dédaigneux. On n'était pas fâché de voir à quoi il ressemble. A une vieille photo du siècle passé. A un lieutenant de 1914 qui aurait égaré son bataillon. Humble, très poli, il ne veut pas comprendre de quoi on lui a fait grief, se déclare prêt à s'amender. Sans blague! Ce n'est pas Céline. Plutôt du sirop de Maurras. Allez! Laissons-le vivre. Bon numéro de «Droit d'auteurs» à propos de la langue française. Etaient réunis des orfèvres, Marc Fumaroli, Erik Orsenna, Alain Rey (le Robert), hommes de culture et d'esprit. Il y avait aussi un Américain sympathique et dingue, Eugène Green, qui récite La Fontaine avec ce qu'il présume être la langue du XVIIe siècle. Quand les dingues sont doux, il faut les accueillir gentiment, ce qui fut fait (La Cinquième). Il n'existe pas d'archives convenables sur Jean-Paul Sartre. Exhumé par Arte, un film tourné par Alexandre Astruc, pendant lequel Sartre se raconte durant trois heures, aurait dû passionner. Malheureusement, sa voix sonne mal, son élocution est désastreuse, tout ce que l'on ne remarquait guère quand on était en face de lui est hypertrophié par un micro qui n'était peut-être pas de la meilleure qualité. Résultat : on perd dans ce film la moitié de ce qu'il dit. On perçoit quelques éclats du genre : «De Gaulle, personnage néfaste de l'Histoire.» Sartre préférait Staline comme on sait. Il dit souvent n'importe quoi. Mais il dit aussi de belles choses que l'on capte par lambeaux, sur la liberté, par exemple, ou encore cette phrase superbe : «J'ai pris mon siècle sur les épaules et j'ai dit : J'en répondrai"?» Même irritant par sa faiblesse technique, il est bon que ce document existe. Invité par Michel Drucker, Jean-Pierre Chevènement nous a réservé une surprise. «La gauche, la droite, c'est fini. Aujourd'hui il faut aller vers quelque chose qui nous dépasse, la République!» Bref, pour la quatrième fois, il démissionne. De la gauche, cette fois, dont il fut un si féroce combattant. Stratégie oblige. Le chemin de l'Elysée est sinueux. Il faut être indulgent à ceux qui font de la politique leur métier, où le seul choix est de battre ou d'être battu. Il n'y en a pas de plus cruel, de plus fertile en déceptions, en trahisons ? y compris les siennes propres ?, en échecs, et ensuite il faut rebondir ou dépérir. Il n'y en a pas où l'on est davantage condamné à ne jamais pouvoir faire ce que l'on voulait faire, à toujours s'entendre reprocher ce que l'on a fait. Il n'y en a pas où l'on a plus d'amis dans la fortune et plus de détracteurs dans l'infortune. Alors, laissons Jean-Pierre Chevènement tranquille pendant qu'il est sur son petit nuage en forme de sondage avec l'ego caressé pendant tout un après-midi. Cette fois. Ces états sont par nature provisoires. Arnaud Montebourg, député, vu au «Grand Jury», déploie une vertueuse véhémence pour coller à Jacques Chirac l'étiquette de «quasi délinquant». Il n'est pas évident qu'elle détournerait les électeurs potentiels de l'actuel président. C'est bizarre, un électeur, savez-vous? F. G. "
Jeudi, décembre 20, 2001
Le Nouvel Observateur