Un fascisme religieux s'est levé en Afghanistan. Il faut le combattre, comme les autres. Avec douleur mais avec succès
Il ne fait pas bon avoir un malade à l'hôpital américain de Neuilly en ce moment. Le visiteur est fouillé, les médecins aussi. Pourquoi cette vigilance? L'une des personnes hospitalisées serait la propre mère de Ben Laden. Même les assassins ont une mère, et c'est en Occident qu'elle est soignée. Quant au fils, nous avons vu l'ancien dandy converti à la guerre de religion, relayé par la chaîne arabe Al-Jazira, prédire à l'Amérique qu'elle ne connaîtrait plus jamais la sécurité. Des observateurs assuraient alors qu'il allait déclencher l'Apocalypse, soit l'activation de cent cellules dormantes en Europe et aux Etats-Unis, chacune sachant ce qu'elle aurait à faire, explosions, destructions, déraillements, bref un festival d'actions terroristes coordonnées, simultanées, aussi spectaculaires et meurtrières que possible, de nature à semer la panique dans les populations. Aujourd'hui, à midi, ce n'est pas encore le cas, mais le pronostic est vraisemblable et il faut s'attendre à des moments difficiles. Bref, c'est la guerre, une guerre d'aujourd'hui, perverse. Il n'y en a pas de bonnes mais, quelquefois, les objectifs sont clairs et, au prix de vies humaines, ils peuvent être atteints. Ben Laden sait qu'il ne détruira pas l'Amérique, qu'il ne la mettra pas à genoux. Ou alors il est idiot, ce qui paraît improbable. Dès lors, quel est le sens de ce qui peut devenir un carnage? Pour l'Occident, il est clair. Un fascisme religieux s'est levé, il faut le combattre comme tous les fascismes ont été combattus, avec douleur mais avec succès. Nous voilà donc partis pour apprendre la géographie d'une partie du monde ignorée des Français, et pour réapprendre la peur qui nous avait quelque temps épargnés. C'est dans ces circonstances-là qu'on voit ce que valent les peuples et ceux qui le conduisent. George Bush s'est peut-être trouvé dans l'épreuve du pouvoir. Cela arrive. On sait que l'adversité sied aux Anglais. Tony Blair n'est pas Churchill mais c'est assez bien imité quand il lance : «Nous leur avons donné [aux talibans] le choix entre la justice et la terreur. Ils ont choisi la terreur.» Jacques Chirac est bon dans les crises. La participation de la France aux opérations est, semble-t-il, modeste, une carte de visite, mais il s'efforce de nous faire croire que le cœur y est. Le sien y est certainement. Le fait qu'il traîne, avec un culot grandiose, une batterie de casseroles ne doit pas faire oublier qu'il n'est pas un dégonflé. Le journaliste d'Al-Jazira, la chaîne arabe basée au Qatar qui couvre maintenant le Moyen-Orient, a donné à ses auditeurs une information surprenante : ce serait les juifs qui auraient fait sauter les tours de New York. La preuve? On n'a retrouvé ni un juif ni un Israélien parmi les victimes identifiées. Daniel Schneidermann, qui s'est procuré une copie de cette émission, l'a diffusée dans «Arrêt sur images» devant le directeur de la chaîne, un peu embêté, et lui a demandé: «Qu'est-ce que vous avez fait de ce journaliste? Vous l'avez licencié?» «Oh non, a répondu l'autre, moi, je ne suis pas d'accord avec lui mais il est toujours comme ça, il dit n'importe quoi pour provoquer des réactions!» Al-Jazira est la seule chaîne arabe qui diffuse en continu. Comme il y a aussi des musulmans sympathiques, nous avons vu l'équipe algérienne de football sur la pelouse du Stade de France. Elle ne jouait pas mal du tout, contre les champions du monde, même si elle ne marquait pas. On regardait cela paisiblement lorsqu'un flot de petits mecs a envahi la pelouse un quart d'heure avant la fin du match. Dans le camp algérien, ce fut la désolation. Dans le camp français, qui avait son Kabyle, Zidane, on ne fut pas plus heureux. Il paraît que cette bande de zozos ne voulaient pas être «humiliés» par le score final. La ritournelle de l'humiliation, on en est un peu fatigué. On doute que quiconque en France se réjouisse de voir les talibans bombardés, si exécrables que soient leurs mœurs. Nous sommes très civilisés ? décadents, disent-ils ?, nous n'aimons plus tuer. Mais ces bombes qui commencent à les ravager, c'est à leur ami Ben Laden qu'ils les doivent. Pas à l'Occident. F. G.
Jeudi, octobre 11, 2001
Le Nouvel Observateur