On a vu le profil de Mitterrand penché sur lui? Mais l'écrivain inconnu n'a pas livré son secret
La salle du tribunal correctionnel est pleine. Alfred Sirven entre, très droit, l'?il brillant, et que fait le public? Il se lève. Il se lève! Il y a même quelques applaudissements! A qui va l'hommage? A l'argent, bien sûr, dont Sirven est l'insolent symbole. Devant l'argent, on se couche. Christine Deviers-Joncour n'y résiste pas, elle embrasse le grand homme. Son lamentable patron, Loïk Le Floch-Prigent, se précipite pour lui serrer la main, Roland Dumas suit, et tout ce joli monde papote? On croit rêver. Si la galaxie Sirven écœure, c'est que rien n'est plus dangereux que la corruption quand elle gangrène une société. Et nous y sommes. Alors, la justice ne sera jamais trop dure. Mais Sirven aura-t-il des juges à sa taille? Un président à sa hauteur, un procureur à sa dimension? Sinon, en fait de coup de théâtre et de coup de balai, ce n'est pas à la Santé que ce grand manipulateur se retrouvera mais à l'hôtel Ritz. A la fois, on n'a plus envie d'en entendre parler, plus du tout, et l'on redoute ce que l'on va entendre sur le sujet au prochain bulletin d'information. La guerre, ils vont faire la guerre au Moyen-Orient, c'est sûr, la vraie? On est revenu dix ans en arrière. Un dialogue organisé par Edwy Plenel entre un universitaire israélien et Abraham Serfaty, qui se présente comme «un juif arabe», acheva de déconcerter par ses subtilités. Si les choses en sont à ce degré de complications et de divisions dans le pays, comment espérer? Serfaty est connu. Marocain, il a passé plus de quinze ans dans les geôles du roi avant d'aller en Israël et d'y être déçu. Il pense que Sharon va faire beaucoup de morts. Hostile au sionisme, comme son interlocuteur d'ailleurs, il ne veut envisager que le long terme. Ce qui, selon lui, est à venir, parce que c'est la seule issue, c'est la résurrection de ce que fut autrefois l'Andalousie, où vivaient en bonne harmonie les trois communautés, juifs, chrétiens et arabes. En somme, il faut travailler à l'utopie pour que se lève le rideau de sang. Bernard Rapp a concocté une sortie cocasse pour clore son «Siècle d'écrivains» après 257 numéros. Le nom du dernier numéro de l'illustre série avait été soigneusement tenu secret. Enfin, il parut : c'était Antoine Chuquet. Un nom inconnu de moi. Mais Sollers en dit quelques mots, Michel Winock le situa brièvement, Pivot confessa qu'il avait refusé d'être apostrophé. Sa vie d'écrivain, abondante mais modeste, surréaliste mais timide, fut on ne peut mieux tracée, et on se disait : mais qui est-ce, ce type? Chuquet, voyons, Chuquet. Il n'est pas inconnu puisque François Mitterrand, fou de littérature comme il était, vint le voir. La soubrette s'en souvient encore, vous pensez. On voit le profil du président penché sur Chuquet. C'est drôle que Chuquet, on ne le voie jamais. Et ce nom d'éditeur, sur la couverture de ses livres, Grassard, c'est quoi, Grassard? Et si tout cela était une imposture? Une supercherie? Une farce? C'était un petit chef-d'œuvre d'esprit à la Rapp. Il a inventé Chuquet. Dans la bonne tradition d'«Envoyé spécial», nous avons eu un cours complet sur la vie des routiers, et c'était, ma foi, plein d'enseignements. Les routiers, on ne pense pas à eux tous les jours, seulement quand ils sont en colère et qu'ils mettent la pagaille partout. En vérité, ces hommes qui passent le plus clair de leur temps sur toutes les routes d'Europe sont de véritables esclaves. Un peu moins en France qu'ailleurs à cause des règlements et des 35 heures, mais le résultat est que les entrepreneurs diminuent. La France a perdu des marchés. Les routiers, désormais, sont pour la plupart polonais, bulgares, russes, et il leur arrive de travailler 96 jours d'affilée. Les passages aux frontières sont parfois très longs. Encombrements. Il faut attendre plus de trois heures, quatre heures. Les chauffeurs pourraient faire tourner le moteur pour ne pas grelotter, mais les réservoirs ne sont munis que de la quantité de gazole strictement nécessaire à leur trajet. Le gazole est cher. Pas question d'en dépenser pour le confort des chauffeurs. A Calais, le problème du routier est de se barricader contre les clandestins qui veulent s'infiltrer dans les camions à l'arrêt pour pénétrer en Grande-Bretagne. Ils cassent tout, arrachent les verrous, les chaînes qui protègent les portes. Tout cela était bien fait. Et sinistre. F. G.
Jeudi, février 15, 2001
Le Nouvel Observateur