Manipulateur d'hommes, de femmes, de milliards, ouvrira-t-il son sac? Rien de moins sûr
Ce n'est sûrement pas n'importe qui, Alfred Sirven. Il suffisait de le voir quelques minutes sur l'écran après avoir été appréhendé, calme, l'ombre d'un sourire sur les lèvres, disant «J'ai 74 ans, je suis un vieux soldat, je serai fidèle à ma morale», pour savoir qu'il ne s'agit pas d'un fripon ordinaire. Il a une présence forte. A côté de lui, Roland Dumas et sa poupée paraissent bien pâles, et leurs pourboires bien maigres. D'ailleurs, les projecteurs se sont déplacés sur le vieux bandit dont on veut maintenant qu'il ouvre son sac. Manipulateur d'hommes, de femmes, de milliards, comme il a dû s'amuser, Sirven, à ce jeu royal. Acheter les gens, y compris les puissants, c'est-à-dire se donner le droit de les mépriser absolument. Il les achetait pour quoi faire? C'est ce que l'on aimerait comprendre clairement, le fonctionnement du système Sirven, au bénéfice de qui, aux dépens de qui, avec quels objectifs. Sirven livrera-t-il des noms bien juteux, comme l'opinion les attend, comme les médias le prédisent avec gourmandise? S'il fallait parier, on dirait non, cet homme ne parlera pas ou peu. Mais il est âgé, malade, et la Santé n'est pas un quatre-étoiles. On devrait lui faire partager une cellule avec Papon. Ils en auraient des choses à se raconter tous les deux. Le combat électoral est fortement déconseillé aux natures fragiles. Il y faut des nerfs. C'est ce qui manque le plus à Philippe Séguin qui cache, sous sa grande carcasse, une mauviette. Tout en clamant : «Je serai maire de Paris», ce qui paraît de moins en moins évident, il est en train de se suicider à petit feu, chacune de ses apparitions étant plus déconcertante que la précédente. Sans partager les choix de Philippe Séguin, on peut avoir pour lui de la sympathie, de l'estime, être sensible à son talent. Aujourd'hui, en face de Pierre-Luc Séguillon, dont il ne cessait de répéter le nom, «Monsieur Séguillon», comme une pendule détraquée, il inspirait plutôt la compassion tant il est éclatant que, pour l'heure, l'échec annoncé lui fait perdre l'esprit. Il paraît incroyable, cependant, que Jacques Chirac laisse Paris lui filer sous le nez, et avec vingt ans d'archives, sans réagir autrement que par des soupirs. Il se manigance sûrement quelque chose de ce côté-là. Ce n'était pas un grand documentaire à l'anglaise, presque un film d'amateur, mais ces «Lascars dans la brousse», diffusés dans la nuit par France 2, avaient une réelle charge d'émotion. En bref, neuf grands adolescents, rejetés de partout, déscolarisés, «en difficulté», comme on dit, sont pris en charge par un éducateur de la Ddass dans le cadre de l'Ecole mobile. Il les emmène dix mois en Afrique. A les voir traîner les pieds, maussades, dans le désert, on reste sceptique. Mais la traversée du continent se poursuit, à vélo et à la dure, la passion bourrue de l'éducateur, ses coups de gueule, les contraintes de la vie en commun transforment peu à peu les lascars, même les filles, les plus réfractaires à toute autorité. Voilà neuf sauvageons repêchés. Ils ont appris quelque chose de la vie en société. Neuf... Une goutte d'eau dans un océan de violences juvéniles et de détresse par lequel il faut refuser de se laisser submerger, même si l'on se demande parfois quand les bébés naîtront avec des dents pour déchirer aussitôt le sein de leur mère... Il y a toujours quelque chose à faire quand on en a la volonté.Les enfants barbares c'est nous qui les fabriquons... Passion déchaînée d'Annie Ernaux pour un diplomate soviétique, qui fait l'amour en chaussettes et regarde «le Juste Prix», passion envahissante de Pierre Assouline pour une madone des parkings, amour épuisant de Jean-Paul Enthoven pour une belle au double visage, deuil inguérissable d'un mari disparu avec Charlotte Rampling tragiquement belle, tout «Bouillon de culture» tournait autour de ce vieux sujet jamais épuisé: le bonheur et le malheur d'aimer. L'élégance et la grâce extrême d'une écriture soyeuse triomphaient chez Enthoven avec «Aurore», mais rien n'était indifférent dans ce concert de cœurs meurtris. F. G.
Jeudi, février 8, 2001
Le Nouvel Observateur