La Bourse, les Français n'aiment pas. Elle évoque les grands krachs, les emprunts russes, 1929... Ils aiment mieux les lessiveuses. Et la voie est libre pour les investisseurs américains
Charles Pasqua est sur un petit nuage. Le cheval sent l'écurie, je veux dire l'Elysée. Quand Ruth Elkrief lui demande s'il sera candidat à la future élection présidentielle, il répond : «On verra.» C'est tout vu. Il sent ses troupes grossir, d'abord des transfuges du Front national. Le dernier est conseiller régional à Marseille. A la veille du congrès de son parti, Pasqua pète le feu. Nul doute qu'il incarne une sensibilité, voire un courant, il caresse là où ça fait ronronner. Ah! la France, la France seule, douce France de notre enfance? Sus à l'ennemi allemand auquel on brade Aerospatiale! En pleine forme, vous dis-je. Le mur de Berlin ou plutôt sa chute, personne ne l'a anticipée, prédite, ni même envisagée. Mais on s'est bousculé pour la célébrer, même en France où cependant personne n'y est pour rien. François Mitterrand aurait plutôt tenté de la contrarier. Depuis, tout a bougé, bouge, parfois dans le sang! En Europe centrale et orientale; la liquidation du pouvoir soviétique procure aux Etats-Unis cette situation de superpuissance unique qui donne de l'urticaire; les marxistes exonèrent Marx du soviétisme pour retourner boire aux sources. LCI, la meilleure chaîne sur l'information, a procédé à un mélange habile entre l'histoire du Mur et la retransmission des fêtes de Berlin. Invités : Gorbatchev, principal artisan de l'effondrement de la RDA, George Bush, qui lui a donné le feu vert, et Helmut Kohl, le réunificateur. On avait un peu l'impression de voir des fantômes. Rostropovitch leur jouait du Bach pour remercier Dieu. Un plan étonnant, celui du porte-parole de la RDA, en conférence de presse le 9 novembre 1989. Il reçoit un papier, et lit : «La libre circulation est rétablie entre l'Est et l'Ouest», comme s'il s'agissait d'un accidentde la circulation. Une voix crie : «C'estpour quand?» Il consulte alors son papier etrépond : «Pour maintenant.» Et c'est la ruée. La série sur l'Amérique de David Hoffman (Canal Jimmy) s'est achevée en feu d'artifice. L'enquête a été réalisée en 1991, c'est-à-dire avant Clinton. Son sujet, ce sont les sixties, les années 60 et ce que l'insurrection de la jeunesse qui les a accompagnées, sur fond de guerre du Vietnam, a changé dans la société américaine. Beaucoup de choses, se souviennent les vétérans des sixties, mais beaucoup moins que ce qu'on voulait. C'est le début de la lutte pour les droits civiques, le départ du féminisme, l'université secouée, le grand ébranlement de l'organisation sociale, la fin du conformisme obligé. Eux dansent dans les rues, en guenilles. Mais les fondations du système américain ont résisté. Nostalgiques, les protagonistes des sixties ressassent leurs rêves. Du chinois pour leurs enfants. Numéro brillant de «Capital» (M6) sur l'argent mondialisé. Parmi d'autres sujets, tous instructifs, un voyage au cœur du pays maudit, les fonds de pension américains. Au fait, comment l'entrée massive de ces fonds dans l'actionnariat des grandes entreprises françaises a-t-elle commencé? Quand quelques-unes ont été privatisées par Edouard Balladur. Il a bien fallu qu'elles fassent appel à l'argent privé pour se développer. Les Français n'en ont pas apporté ou très peu. La Bourse, ils n'aiment pas. Leur épargne, ils la confient de préférence à l'assurance vie, c'est leur lessiveuse, ou aux sicav. Comme si, dans la mémoire collective, la Bourse restait synonyme de Panama, des fonds russes, du krach de 29, bref de ruines. Quant aux fonds de pension diabolisés, là, ils paraissaient surtout redoutables pour les dirigeants d'entreprise, qu'ils jugent trop cher payés par rapport à leurs résultats : ils ont eu la tête des patrons de Kodak, d'IBM et de Disney! On entendra bientôt : «Qu'est-ce que tu veux faire quand tu seras grand? ? Je veux devenir actionnaire!»F. G.
Jeudi, novembre 18, 1999
Le Nouvel Observateur