Une bonne histoire belge

Il y a des Flamands, il y a des Wallons, mais y a-t-il des Belges? Nos voisins et partenaires sont vraiment des gens bizarres
Un qui a dû passer une mauvaise soirée, c'est Jacques Chirac sur son champ de ruines. Et pas un capitaine en vue pour entreprendre une reconquête! Les autres : Bayrou exultant, Sarkozy mortifié, Hue dépité, Cohn-Bendit rayonnant, Hollande satisfait, Le Pen rétréci, Mégret évacué? Quoi encore? Ah! Pasqua bien sûr, c'était sa fête, assorti de son vicomte et de sa Méduse. Mais au total les Européens font un meilleur score que les anti. Foule bavarde sur la 2, sobriété et efficacité sur LCI avec deux experts sondeurs politologues ? je ne sais comment il faut les appeler ?, Jérôme Jaffré et Patrick Bresson, agiles à interpréter les résultats au fur et à mesure qu'ils tombent. Vers 23 heures, on est fixés. Un électeur sur deux a voté, soit un vote critique massif à l'égard de tous les postulants, sous forme d'abstention. La droite classique s'est effondrée, la gauche la dépasse largement, donc pas de vote sanction contre Lionel Jospin après deux ans de gouvernement. Mais les communistes ont du plomb dans l'aile, les Verts, dopés peut-être par l'effet dioxine et surtout par Cohn-Bendit, ont le vent en poupe, les extrêmes droite et gauche sont pâlichonnes, mais ne pas s'y fier. Ailleurs, Schröder et Blair, nos donneurs de leçons, se sont plantés. L'Europe rose : out. Il y a des Flamands, il y a des Wallons, mais y a-t-il des Belges? Dans un documentaire excellent, l'un d'eux, Luc de Heusch, a raconté ce pays«bizarre», dit-il, la Belgique, dont on connaît mieux les peintres prestigieux que l'histoire tourmentée. De Waterloo ? où la Belgique fut incluse aux Pays-Bas, avant de se révolter en 1830 ? jusqu'à nos jours court au cœur de cette histoire un fil rouge, la rivalité entre Flamands et Wallons, campés chacun sur sa langue. Le français est la langue de la classe dominante quand, en 1861, le roi Léopold II s'achète le Congo, un territoire bourré de richesses, grand comme quatre-vingts fois la Belgique. Un siècle plus tard, après que deux guerres mondiales ont durement éprouvé la Belgique et sa dynastie, le roi Baudouin accorde l'indépendance au Congo. Le déclin belge commence. Charbonnages, mines, métallurgie, la Wallonie est ravagée, alors que les Flamands se débrouillent mieux et deviennent de plus en plus revendicatifs, en droits et en pouvoirs. Sous leur poussée, la Belgique devient, en 1993, un pays fédéral. La Flandre espère conquérir la mairie de Bruxelles. Le jour de l'enterrement du roi Baudouin, dit Luc de Heusch, «il semblait emporter dans la tombe le corps de la nation». L'horrible affaire Dutroux a un moment rapproché les deux communautés, mais, selon Heusch, la Belgique en sort chancelante. L'avenir est incertain, la dette publique faramineuse, la démocratie fragile, un parti flamand extrémiste, fasciste et raciste, sévit. A l'heure de l'Europe, impossible de n'être pas touché par ce document d'un intérêt exceptionnel concernant de si proches partenaires. Pas de place pour parler du vieil homme à la fleur, Théodore Monod, 93 ans, spiritualiste, herborisant au Yémen, et de l'intellectuel aux pierres, Roger Caillois, le matérialiste, caressant ses cailloux. Ils illuminèrent l'un et l'autre les émissions à eux consacrées.F. G.

Jeudi, juin 17, 1999
Le Nouvel Observateur