«Je me demande s'il sait où il se trouve.»
Régis Debray sur TF1, c'était Tintin au Kosovo. La caricature de l'intellectuel tel qu'on le brocarde. En même temps, il est toujours touchant, Debray, avec cet air qu'il a de couver un gros chagrin parce que, sur la scène du monde, il n'a pas de rôle? Donc, après quatre jours passés à Pristina, et quelques conversations avec les autorités officielles serbes, il a eu une illumi-nation : il n'y a jamais eu de déportations, de «nettoyage ethnique», de population chassée, de réfugiés. Mais pourquoi donc 750000Kosovars ont-ils quitté leur pays? Ils voulaient répondre à l'appel de cousins installés à l'étranger, oui, oui. Les images terribles, les témoignages accablants? Mensonges. Fabrication d'une presse asservie. L'équipe de «Libération» qui couvre la guerre n'a pas apprécié de voir son travail ainsi suspecté. Elle a fait la fête à Debray en corrigeant minutieusement une à une toutes les erreurs qu'il véhicule. Mais le meilleur commentaire de son équipée émane d'un officiel serbe, patron de la radio locale de Pristina, Mihajlovic. Surpris par sa conversation avec le Français, il a dit à Steven Erlanger, du «New York Times»: «Je me demande s'il sait où il se trouve.» Depuis le temps qu'il est jeune, J.M.G. Le Clézio s'y tient, obstinément beau à la veille de ses 60ans. Mais il n'aime pas se voir dans un miroir : «J'ai toujours l'impression que quelque chose peut en sortir?» Gentil, s'appliquant à répondre exactement aux questions de Bernard Pivot, mais peu prolixe par nature ? noué, comme le sont presque toujours les vrais écrivains ?, il a lâché: «J'écris pour me sauver. Du désespoir, de l'ennui, de la mort peut-être, de la folie?» Les mots sont sa patrie, la littérature son territoire. Invité à parler de la mer, du désert, de son enfance, des Indiens, il a joué le jeu, poliment. «Diriez-vous que vous êtes une force tranquille?» demanda Pivot pour conclure. «Non, une fragilité inquiète.» C'est son charme. Qui est grand. Arte se mouille. Voici la chaîne franco-allemande en pointe dans la dénonciation du libéralisme et de France Télécom, privatisée, dont les bénéfices vont engraisser, nous a-t-on dit, les fonds de pension américains. L'ensemble du document de Jean Druon, qui enveloppait dans un même opprobre tous les artisans de la «désétatisation» mondiale pour mieux pleurer le service public, aurait paru plus fort s'il avait été moins sommaire. Sur un sujet aussi important, aussi sensible, on attendait autre chose. «On en vendra 20000? Pas certain? Alors on ne publie pas.» C'est ainsi que fonctionne l'édition américaine depuis que toutes les maisons ont été rachetées par de grands groupes industriels. Andre Schiffrin, l'un des derniers indépendants, l'a raconté à «Droit d'auteurs». En France, nous ne sommes pas encore crétinisés. Deux groupes se partagent les deux tiers de l'édition, Hachette et Vivendi, mais ils laissent leurs filiales libres à condition, bien sûr, que globalement elles ne perdent pas d'argent. Avantage majeur : 37% des libraires sont indépendants et ils sont déterminants. Mais que la vente directe via internet les élimine et nous n'aurons plus que nos yeux pour pleurer un temps où un livre n'était pas forcément une biographie de Madonna. Cannes : ceux qui fréquentent le Festival sont si satisfaits d'y être qu'ils croient que tout le monde est ravi de les regarder. Après tout, c'est peut-être le cas. Mais si nos jeunes comédiens apprenaient à répondre autre chose que «heu? c'est-à-dire? non, je voulais dire?» à des questions imprévisibles telles que «Vous aimez Cannes?», ce serait un progrès. Depardieu junior devrait demander conseil à papa. F. G.
Jeudi, mai 20, 1999
Le Nouvel Observateur