Le cœur des Français

Ils ont réagi très nombreux face au malheur innocent, offrant l'asile, offrant leurs bras, offrant leur obole. Et c'est bien
L'étonnant, c'est que l'on s'étonne. Croyait-on que les Français resteraient tous inertes devant la tragédie? Il y a dans ce vieux pays chrétien, tout de même, des ressources immenses de compassion, de sensibilité au malheur d'autrui, de spontanéité dans l'assistance. Cette fois, toutes les conditions sont réunies pour que l'on soit frappé au cœur. Chacun peut s'identifier à cette femme, à cet homme arraché à son foyer, molesté, dépouillé, qu'on a jeté sur les routes fusil dans les reins, errant dans le froid et la boue, perdu, anonyme dans une masse monstrueuse, expédié qui en Turquie, qui en Allemagne, qui en Suède sans qu'on lui demande son avis alors qu'il ne veut pas, qu'il ne veut pas s'éloigner. Cette femme, cet homme, ces enfants à la peau blanche nous ressemblent, ils sont innocents de tout crime, ils sont l'expression même du malheur innocent. Et on les laisserait tomber? Si les informations recueillies par le Pentagone sont exactes, à l'horreur de l'exode s'ajoute, ici et là, celle des viols en série. Mais n'en ajoutons pas, cela n'a pas été confirmé. Bref, les Français ont réagi très nombreux, offrant l'asile, offrant leurs bras, offrant leur obole. C'est bien. Réuni par Christine Ockrent, un aréopage assez bien composé a épilogué sur la situation telle qu'elle est aujourd'hui. Words, words, words, on en a la tête farcie. Seule Emma Bonino, la commissaire italienne à l'humanitaire, a dit des choses fermes et simples : «Un, je suis surprise de la surprise. En août, il y avait 50000 déplacés. On le savait. On le découvre maintenant! Deux : dans toute action, la durée est une composante importante. Il faut affaiblir les structures militaires de Milosevic avant de négocier. Nous devons assumer nos responsabilités.» C'était aussi clair et net qu'Olivier Duhamel fut alambiqué, lui si bon d'habitude. Voici Doublepatte et Patachon ? Pasqua et Villiers, veux-je dire ? unis pour nuire. C'est triste de voir Pasqua, ce vieil homme recru de patriotisme, dans un pareil attelage. Tombée par hasard sur un petit document percutant sur l'alcool, qui arrive en tête des drogues dures en matière de ravages mortels. Où en est la loi, dite loi Evin, promulguée pour en interdire la publicité? Finie, rayée, enterrée, les alcooliers ont eu sa peau. Comment? C'est ce que ce documentaire, prenant un à un les députés complices et arrosés, les gros producteurs astucieux, et même le pauvre Jack Lang, défenseur impétueux des vins de Touraine, décrit de façon impitoyable. Le lobbying ? l'art de créer des groupes de pression sur les décideurs ? a été poussé là au sommet. Une à une presque toutes les dispositions de la loi ont été abolies par le Parlement, couché. Un exemple d'école (Arte). Autre document original : la vie de Hugh Hefner, le père de «Playboy», le premier magazine qui a publié des photos de femmes nues. Hefner était un jeune puritain de Chicago auquel sa mère avait enseigné que les germes se transmettent par les baisers. Un beau jour de 1953, il décide d'inventer une nouvelle morale sexuelle et sociale. Et il se fabrique, pratiquement tout seul, un petit journal où il publie la photo de Marilyn Monroe nue. Sensation. Le succès est immédiat, foudroyant, c'est la première pièce d'un empire qu'il va étendre partout. Sept millions d'exemplaires de «Playboy» sont vendus chaque mois. Bientôt des clubs Playboy couvrent le monde. Philosophie de Hefner qu'il expose dans un livre : il faut faire du sexe une bonne chose. Dans les universités, les étudiants commencent à en être persuadés. C'est un maître à penser. Hefner devient immensément riche, circule dans un avion noir, est partout reçu comme un prince. Et puis le vent tourne, après quelques histoires fâcheuses, Hefner a une attaque. Fin de l'empire. Il vit maintenant en bon père de famille (Canal Jimmy). Histoire américaine s'il en est. Au moins Hefner a-t-il eu le sexe gai en son temps. On n'en dira pas autant de ceux qui nous le mettent sous le nez en ce moment au cinéma dans deux ou trois films. Aïe, aïe, aïe! Ce n'est pas nouveau, on a lu Georges Bataille, on sait que le sexe, ce n'est pas de la rigolade, mais étalé à l'image dans toute sa misère, on en dégoûterait des amants de 20 ans. F. G.

Jeudi, avril 15, 1999
Le Nouvel Observateur