Les nouveaux médias, happés par la spirale sensationnaliste, se révèlent incapables de remplir la fonction de la presse
S'ils tiennent à se tuer, les cinglés de la neige, que faire? On ne chatouille pas impunément les avalanches. On peut plaindre les victimes, admirer le dévouement des secouristes, mais aussi frémir à la pensée que tant d'irresponsables exercent, hors montagne, des responsabilités, qu'ils conduisent une voiture, par exemple. Quant aux trois rigolos extirpés de leur igloo, qui ont tant excité les médias avant de passer du statut de héros décongelés à celui d'imposteurs mal embouchés, ils mériteraient, plutôt que de la curiosité, une bonne correction. L'URSS n'a pas fini de faire horreur, ni d'alimenter les émissions historiques. Celle de France 3, «la Maison sur le quai», concernait un immeuble de Moscou où vivaient, dans le confort et à l'abri des soucis domestiques, de zélés serviteurs du régime, artistes, hauts fonctionnaires, commissaires du peuple, protégés par Staline. Protégés jusqu'au jour où l'un ou l'autre était arrêté. Disparaissant pour toujours. Et où tous tremblaient en voyant sur leur porte les scellés de la police? A qui le tour? Quelques descendants ont parlé, évoquant la terreur quotidienne qu'ils ont vécue. Mais les «nouveaux Russes» qui occupent aujourd'hui certains appartements de la Maison ne veulent pas en entendre parler et s'offusquent des plaques commémoratives apposées sur l'immeuble. La mémoire, pour quoi faire? La question ne se pose pas seulement en Russie. L'une des meilleures émissions de la télévision française, à mon goût, se trouve le samedi (avec reprise le dimanche) sur LCI. C'est «le Monde des idées». Interrogé par Edwy Plenel, directeur de la rédaction du «Monde», et Jean-Louis Rabillaud, un invité, le plus souvent un intellectuel qui a quelque chose dans la tête. Cette fois, ce fut quelqu'un que la télévision n'a pas encore usé, Pierre Rosanvallon, président de la fameuse Fondation Saint-Simon, ancien syndicaliste, auteur de nombreux ouvrages (dont «le Capitalisme utopique»). Son ambition, son métier : produire et faire produire des idées, et pas seulement des discours, sur l'avenir de la société française à l'heure où, selon lui, chacun de nous a intériorisé dans sa vie l'idée libérale ? «Nous sommes tous libéraux. Qui veut du dirigisme aujourd'hui?», ? où l'insatisfaction née de l'écart entre l'immédiateté des paroles et la lenteur des institutions peut devenir explosive, etc. On se sentait obligé de réfléchir. C'est l'intérêt de cette émission. Quatre cents sites néonazis ont été recensés sur Internet. Ouvrir un site, trouver un serveur est à la portée de n'importe qui. C'est, avec des débordements de toute nature, parfois abjects, la rançon de la «liberté d'expression» qu'exigent les internautes. Tous les progrès ont leur face noire, Internet aussi, qui n'est pas qu'un vide-ordures, comme dit Finkielkraut. Cependant, dans un ouvrage remarquable, un bon observateur, Ignacio Ramonet (1), dissèque ce que l'information est devenue sous la pression conjuguée d'Internet et de la télévision, menacée par l'extension du Net. La façon dont elle est recueillie, traitée, pervertie pour en faire exclusivement un sujet d'émotions. Il trace un tableau documenté de la situation qui s'est créée dans le monde et de ce qu'elle annonce : le naufrage de la presse écrite, bien sûr, dépassée par l'instantanéité de la transmission, mais ce ne serait pas le pire si ses substituts remplissaient la fonction qui est la sienne depuis deux siècles. Ils en sont loin. L'information, soit un fait que l'on connaît, que l'on vérifie, que l'on analyse et que l'on transmet, est devenue étrangère aux médias happés par la spirale sensationnaliste où ils doivent rivaliser. Le public, chatouillé là où il jouit, en redemande. Les grandes chaînes abdiquent. Le travail d'Ignacio Ramonet est largement fondé sur les Etats-Unis. Mais les Etats-Unis, c'est la porte à côté. Deux heures de pur plaisir au spectacle de la finale de tennis jouée à Paris entre l'Américaine Serena Williams et la nouvelle étoile française, Amélie Mauresmo. Un jeu splendide, de part et d'autre, un suspense d'enfer jusqu'à la dernière minute. De grandes techniciennes assurément mais aussi de fameux tempéraments. La Française a perdu sur le fil après une remontée spectaculaire. On était un peu triste pour elle. Mais la victoire en chantant devrait accompagner sa carrière.F. G. (1) «La Tyrannie de la communication», Editions Galilée.
Jeudi, mars 4, 1999
Le Nouvel Observateur