Quand les grandes manœuvres des financiers font valser le cinéma et la presse... Mais qui s'en préoccupe ?
Ce début de campagne pour les européennes est surréaliste. Jean-Pierre Chevènement s'exprime comme Léon Daudet, Charles Pasqua voit du boche partout, les supporters de Philippe de Villiers hurlent «collabos, collabos» et je passe sur les seconds couteaux? qui en sont à Bismarck. Chacun a le droit d'exprimer ses peurs et ses nostalgies mais quel sens ont ces invectives? S'agit-il de dire non à l'Europe? C'est trop tard. L'Europe de la monnaie unique est faite, ficelée, et les élections n'y changeront rien. A supposer qu'il n'y ait pas plus de listes en présence que d'électeurs disposés à se déranger, elles désigneront des députés au Parlement européen. Mais qui s'en soucie? La vérité est qu'elles recouvrent, comme tout le monde l'a compris, une pure opération de politique intérieure, où chacun joue sa partition avec l'espoir pour les uns d'affaiblir Jospin, pour les autres d'affaiblir Chirac, pour tous de compter sa petite troupe, capable de nuisances et de marchandages lors des prochaines échéances électorales. Voilà de quoi réconcilier les Français avec la politique.Quant à l'Europe, à ce qu'elle devrait devenir après l'étape de l'euro, aux objectifs concrets que les hommes d'Etat doivent lui fixer comme leurs prédécesseurs surent le faire, seul Cohn-Bendit a, pour l'instant, des idées sur la question. Mais peut-être n'y a-t-il plus d'hommes d'Etat. Seulement de petites gens avec de petits calculs à leur hauteur. Elisabeth Guigou, intense, ardente, nous a promis, à «Public», de relever le débat.Gilles Perrault repart à l'attaque, avec sa verve coutumière. Cette fois, ce sont deux juges d'instruction qu'il a dans son collimateur, celles qui font expédier les Basques indépendantistes en Espagne où ils sont, assure-t-il, torturés. Ces Basques, ceux de France, auxquels il consacre un livre («Lettre à deux juges françaises?») il est venu en parler sur LCI: «Je les aime, je les admire, ils m'exaspèrent.» Son plaidoyer, brillant, consiste à dire, en bref : rien n'est plus vain que de refuser l'indépendance à des gens qui veulent leur nation. Ça dure ce que ça dure, ils tuent énormément et ils se font tuer, ils commettent des atrocités, mais ils finissent toujours par gagner. Dernier exemple : l'Irlande. Perrault a tant de talent qu'il vous convaincrait que la terre est carrée. On referme son livre, troublé.Norman Mailer («les Nus et les Morts», «Un rêve américain») est-il un grand romancier? On peut en discuter, même s'il a connu d'immenses succès. Sa vision apocalyptique du déclin de la civilisation américaine a fait, en son temps, grand bruit. Le bonhomme a sans aucun doute une certaine envergure, au-delà de ses coups publicitaires et de son délire misogyne qui l'a conduit, pour commencer, à poignarder sa première femme ? il en a eu sept.«Un bon écrivain peut se passer de tout sauf d'avoir des couilles» , déclarait-il. L'émission déroulait sa vie fort agitée. Tout cela était mal monté, et mal filmé. Mais il en ressortait un personnage flamboyant dans tous ses excès, y compris cette dernière phrase : «Le roman est mort avec moi» («Un siècle d'écrivains»).A première vue, il ne s'agit que d'opérations financières. Bouygues (TF1) et Jean-Marie Messier (Vivendi et son cortège) se sont introduits dans le capital de Pathé (Jérôme Seydoux). Qu'est-ce que cela présage? Pathé, c'est la production annuelle de trois ou quatre films de grand calibre, c'est vingt-six salles, c'est, accessoirement, «Libération» («Libé» tombant demain sous la houlette de TF1 ou de Messier, on conviendra que ce serait piquant).Dans le même temps, Rupert Murdoch s'est introduit en Europe, s'allie avec Berlusconi en Italie, avec Kirsch en Allemagne et compte bien s'allier avec TF1 en France. On se permettra de suggérer qu'il ne s'agira pas vraiment d'un quatuor sans couleur politique. Mais qui réagit? Qui se préoccupe de réglementer d'urgence les rapports entre la production cinématographique et les télévisions? A la Culture, on dort, au gouvernement on a d'autres soucis, quant aux intellectuels, si prompts à s'émouvoir quand il s'agit de droits d'auteur, on n'entend pas leur voix.Personne n'est plus près de la vie. C'est pourquoi les livres de médecins parlant de leurs patients sont souvent passionnants. Willy Rozenbaum, qui inventa le mot «sida», le docteur Etienne Lai, avec sa médecine d'urgence qu'il exerce la nuit, avaient beaucoup de choses à dire («Bouillon de culture»). Mais le docteur Claude Olievenstein leur a volé le spectacle. Parce qu'il parlait de cette obscénité, la vieillesse, et pas n'importe laquelle, la sienne, qu'il vit on ne peut plus mal. Comment ça s'installe, comment ça vous réduit, par étapes, comment on ne peut plus, un jour, boutonner un bouton, comment on se flétrit, on se déglingue, on se rétrécit, comment ? last but not least ? dans la culture électronique où nous sommes, on est largué.Claude Olievenstein n'a que 65 ans. Il vivra peut-être jusqu'à 95 ans. Mais il semble avoir entamé son dialogue prématuré avec la mort le jour où il a été incapable de gravir un escalier quatre à quatre. C'est ce dialogue qui sous-tendait tout son propos et le rendait déchirant F. G.
Jeudi, janvier 28, 1999
Le Nouvel Observateur