Le diablotin de l'Amérique

Depuis la disparition de l'URSS, c'est Saddam Hussein qui a repris le rôle du démon. Il n'y est pas nul...
Ils ont assassiné Lincoln. Ils ont assassiné Kennedy. A une voix près, ils ont failli destituer Andrew Johnson, le successeur de Lincoln, parce qu'il avait renvoyé un ministre sans consulter le Congrès. Ils sont en train de tuer Clinton. Ils : toujours les mêmes, cette part haineuse, dévote et hystérique des Etats-Unis qui ne supporte pas que le président soit «libéral» au sens anglais du terme. Monica Lewinsky n'est qu'un prétexte. Il ne fallait pas le fournir? D'accord. Aussi bien n'est-ce pas sur Clinton que l'on pleurera mais sur la débâcle intellectuelle dont les Etats-Unis témoignent. Le bombardement de l'Irak n'en est qu'un épiphénomène. Un journaliste palestinien l'a très bien dit sur LCI, dans «le Monde des idées»: les Américains ont besoin du Diable, d'une incarnation du Mal en face du Bien qu'ils croient représenter sur cette terre. L'URSS a rempli cet emploi pendant de longues années. C'est fini. Ils sont en manque. A côté, Saddam Hussein n'est qu'un diablotin mais, dans ce rôle, il n'est pas nul avec ses armes chimiques? A propos : que faut-il penser du Journal de la Une qui, pour illustrer la détresse des populations irakiennes bombardées, a diffusé l'image, déchirante d'ailleurs, d'une petite fille? qui date de plusieurs mois? On ne peut pas alimenter davantage l'incrédibilité à l'égard de l'information télévisée («Arrêt sur images»). Les électeurs du FN sont devenus les plus choyés des Français. On les sonde, on les scrute, on les range par catégories, on soupèse leur découragement devant la bataille des chefs. Au fait, qu'est-ce qui les distingue, ces chefs? A Ruth Elkrief qui l'interrogeait sur LCI, Bruno Mégret a répondu : «Pas question pour moi d'abandonner le programme du Front national dont j'ai été le maître d'œuvre.» Mais encore? Sera-t-il plus respectable que Le Pen? Sourire contrit. Propos embarrassé. Décidément, il lui manque quelque chose, à ce Brutus. Inquiétants, les adeptes du new age qui se multiplient, même dans la Silicon Valley et, à un moindre degré, en Europe. Là-bas, 150 gourous enseignent à ceux qui sont mal dans leur peau comment libérer leur énergie et se connecter à l'intérieur de soi à une source divine. Ce qu'on appelle «la renaissance du spirituel». «Envoyé spécial» a montré quelques pratiquants en action, apparemment ravis d'eux-mêmes. Un amateur nous rassure : «Ce n'est pas incompatible avec le fait d'être très riche!» En France, on pratique aussi des techniques articulées autour du corps pour atteindre la spiritualité. Le chamanisme, par exemple. Un «chaman» explique à ses disciples qu'il s'agit d'une tradition du néolithique! Ils se livrent à quelques gesticulations et assurent qu'ensuite ils se sentent mieux. Il ne leur en coûte que 1000 à 2000 francs par mois. Tout cela présente-t-il un danger? «Le new age est le laboratoire idéologique des sectes, dit un spécialiste de la question.Il prépare à la mainmise sur les esprits. Il est en train de s'enraciner dans la société française.» Il n'y aurait pas d'offre s'il n'y avait pas de demande. Qu'est-ce que les Eglises proposent en face? Les meilleurs comédiens sont rarement bons dans leur propre texte. Jean-Paul Belmondo, interrogé par Bernard Pivot qui n'en pouvait mais, a été indigent. «Zazie», émission littéraire nocturne, a produit un très bon numéro. Le gros morceau, un film sur Rimbaud, bourré de documents, accompagné d'un texte riche. «Ecrire un livre qui transforme le monde», disait le poète avant de renoncer à l'écriture. Il y a une magie Rimbaud. Elle était là. Jean d'Ormesson a les plus beaux yeux de la littérature française. Devenu le romancier chéri du public à 46 ans, après «la Gloire de l'Empire», il avait sa place dans «Un siècle d'écrivains». Il y a parlé de lui et de son œuvre avec grâce et humour. Quelque chose gênait cependant : la façon lourdement respectueuse dont il était interrogé. Ce tapis rouge déroulé sous ses pieds ne l'a pas servi et l'a conduit à cette déclaration surprenante : «J'ai une estime médiocre de moi-même. Je suis moins beau que Paul Newman ou Delon, moins intelligent que Freud ou Einstein?» Mais non mais non, monsieur le comte. F. G.

Jeudi, décembre 24, 1998
Le Nouvel Observateur