Ces femmes qui parlent, parlent, parlent...

Comment une génération a pris la parole et ne la lâche plus
Qui ne le voit? Ce projet de loi sur le Pacs est à l'image de l'ambivalence des sentiments qu'inspire encore l'homosexualité. Chacun est libre de regretter qu'après avoir été si longtemps confinée à la littérature et assimilée à un crime contre nature elle ait aujourd'hui visage ouvert, mais c'est un fait. En décidant de lui donner statut, le gouvernement allait entériner ce fait et intégrer les homosexuels en tant que tels, par la loi, dans la collectivité nationale. Mais il eût fallu un peu de courage pour le dire clairement. Au lieu de quoi, on déguise cette démarche sous un habillage hypocrite, on met les frères et les sœurs en ménage, n'importe quoi? Eût-il été si hardi d'élaborer une règle de base posant que le concubinage ne suppose pas forcément que les intéressés soient du même sexe? A partir de là, le meilleur était possible, pour tous les couples vivant hors mariage. Au lieu de quoi? Laissons Mme Boutin diaboliser le projet de loi. Un opposant modéré, Patrick Devedjian, député RPR, parlant à LCI, n'a eu aucune peine à en dénoncer les incohérences, sans s'en référer aux Evangiles. Ce n'est pas le mariage qui est en péril dans cette affaire, c'est un peu du crédit que l'on fait au gouvernement. Mme Christine Deviers-Joncour, la belle amie de Roland Dumas, a vendu son album de photos à «Match». On la croyait cependant à l'abri du besoin. Elle paraissait plutôt jusque-là comme une victime. Incarcérée pendant des mois pour l'amener à reconnaître qu'elle avait partagé avec Roland Dumas les bénéfices de la corruption, elle a résisté à la juge Eva Joly, ce qui dénotait du tempérament, à moins que ce ne soit simplement de l'amour? Et puis voilà cette exhibition, cet étalage d'intimité, ce monnayage public de sa liaison, ces demi-aveux? Monika Lewinsky n'est pas loin. Conversation brillante à propos des origines de l'homme, entre spécialistes, chez Pivot, du chimpanzé à l'art rupestre, du moment où, dans l'évolution du vivant, la bouche s'est faite après l'anus jusqu'à composer le tas de cellules que nous sommes, quelle histoire! Ce sont les hommes du Neandertal qui, éprouvant l'angoisse métaphysique, l'ont conjurée en imaginant une autre vie après la mort. D'où l'invention de la sépulture. Et puis, les premiers, ils ont commencé à se taper dessus. De ce côté-là, rien de changé depuis cent millions d'années. A «Arrêt sur images», la journaliste la plus célèbre du monde, star de CNN, Christiane Amanpour. Belle, intelligente, parlant bien de son métier ? elle va sur tous les points chauds du globe ?, avouant que le journalisme américain, infesté par la compétition dans le ragot, est en crise. On s'en était aperçu. Michelle Perrot, la meilleure historienne des femmes, est emblématique de sa génération, celle qui a découvert, dans les années 70, le poids séculaire de l'oppression masculine. Cela fait aujourd'hui un beau livre, «les Femmes ou le silence de l'histoire», dont elle a parlé, modestement, à «Droit d'auteurs». Une romancière, Virginie Despentes, qui est en train de se tailler une réputation avec une syntaxe sauvage pour régler leur compte aux hommes la regardait, l'?il triste. Il semble qu'à ses yeux il n'y ait rien de changé. Sinon qu'aujourd'hui, en fait de silence, les femmes parlent, parlent, parlent, comme elles n'ont jamais parlé. Un «Capital», étiré en longueur, a chiffré les nouveaux loisirs des Français de luxe, tourisme en avion privé, safaris de baleines au Canada, marches au pied de l'Himalaya, bicyclettes de 5000 francs (les VTT). On a l'air de quoi maintenant quand on passe ses vacances à Cabourg avec son vieux vélo. Vu aussi un excellent documentaire sur Dali, clown génial apparaissant dans toute sa misère dorée (Planète). Enfin, il faut dire un mot du «Dessous des cartes», petite perle pédagogique, où J.-C. Victor met les idées en place sur l'état du monde, ce qu'on appelle la géopolitique. L'autre fois, c'était l'Europe de l'Est, cette fois la Nouvelle-Calédonie, demain le Royaume-Uni entre l'insularité et l'Europe, etc. Avec des mots simples et quelques cartes, on s'instruit, on comprend, c'est épatant (le samedi, sur Arte). F. G.

Jeudi, novembre 5, 1998
Le Nouvel Observateur