A ceux qui ont voulu transformer l'exaltation sauvage du foot en connerie générale. A ces pauvres chats qui n'ont rien compris
Heureusement que nous n'avons pas gagné contre les Allemands! Vous imaginez un million de Français hurlant sur les Champs-Elysées! L'Europe aurait pris du plomb dans l'aile. Mais ce furent les Brésiliens, avec lesquels la France n'a aucun contentieux historique, et ce fut parfait. La victoire en chantant n'a eu aucun parfum nationaliste de mauvais aloi. Il s'agissait de sport et seulement de sport. L'agile équipe brésilienne défaite par des acrobates bleus se retira dignement du stade sans un mauvais geste, ses supporters restèrent stoïquement assis, muets, jusqu'à la fin des cérémonies, les supporters français enivrés n'eurent pas un mot déplacé. La France avait gagné une Coupe du Monde, pas une guerre. Tout au plus pouvait-on regretter que ni le président de la République ni le Premier ministre n'aient une petite phrase pour saluer le talent du rival malheureux qui était notre invité. Il était drôle, Chirac, exultant, bras dressés. Il ne voulait plus s'en aller, clouant les hôtes de la loge présidentielle qui n'osaient pas quitter leur place avant le président.Les pisse-vinaigre, comme il n'en manque jamais dans notre beau pays quand il s'agit de le dénigrer, ont transformé l'exaltation générale en vague de connerie générale, voire d'hystérie collective provoquée par la télévision. Les pauvres chats. Ils n'ont rien compris. On est heureux, et puis voilà. Ça passera? Bien sûr, tout passe. Mais il restera de cette épopée un grain de fierté, une façon de relever la tête...On n'y croyait pas cependant, il faut bien le dire. On a suivi toutes les rencontres auxquelles participaient l'équipe de France, le cœur battant. Les autres aussi d'ailleurs, Anglais et Hollandais magnifiques, Allemands essoufflés, Croates avides. Contre qui allions-nous avoir à lutter? La première partie gagnée : bon, contre les Saoudiens, c'était facile. La deuxième, la troisième. C'est après la défaite de l'Italie qu'on s'est mis à y croire un peu, quand l'équipe de France s'est retrouvée en demi-finale. Mais les Croates allaient en faire une bouchée, c'était sûr. Ils ne l'ont pas avalée, ouf! La défaite en finale contre le Brésil serait plus qu'honorable. La meilleure équipe du monde avec ce diable de Ronaldo. Elle s'est inclinée et de belle façon, 3 buts à 0. Pas sur des coups de pieds arrêtés, pas sur un arbitrage douteux, pas sur un penalty. Trois buts propres, clairs, deux de Zidane, le Kabyle génial, un de Petit, le beau jeune homme blond aux cheveux longs. Il ne restait plus qu'à leur faire ovation.Le héros de la fête, c'est Aimé Jacquet, le sélectionneur, cet homme simple et tranquille qui a été vilipendé pendant deux ans par la presse du sport, ses joueurs aussi d'ailleurs, certains d'entre eux en tout cas. Que n'a-t-on pas lu et entendu! Il aurait dû en être usé, Mémé Jacquet. Il en a encore mal. Essuyant ses larmes de joie, après le match, il a dit en serrant les dents : «Je n'oublierai jamais...» La cote de Jacques Chirac et de Lionel Jospin, déjà haute, est montée en flèche et les plumes de l'opposition se gaussent. Qu'ils sont bêtes! Ils n'auront pas regardé la partie de football que les huiles de L'Alliance ont organisée entre elles, devant leurs militants, à Toulouse, pour faire pièce à la Coupe... Il fallait les voir, courant avec leurs petits mollets blancs dépassant de leur short, si profondément ridicules qu'on en souffrait pour eux. On se demande quel conseiller en communication leur a suggéré cette exhibition.Mais les Français avaient la tête à autre chose. Et les Françaises aussi, qui se sont éveillées aux beautés du football. Une ménagère de plus de 50 ans que je connais bien les en avait conjurées. Il y en avait plein le Stade, avec des barres tricolores sur la joue, agitant des drapeaux, devant la télévision, dans toute la France. Les annonceurs s'en mordent les doigts, eux qui ont négligé les spots publicitaires dont elles sont la cible pendant la Coupe.Unité nationale? On s'adore? On ne se quitte plus? Fadaise... Pendant quelques jours, les Français ont mis leurs soucis au vestiaire. Ils les retrouveront à la sortie avec leurs divisions légitimes, mais ils garderont de ces jours de fête une petite lumière dans la tête. La France a gagné. C'est quand on a la gagne qu'on gagne, pas seulement au football, sur tous les terrains. A son entraîneur, Jospin-Jacquet, et à son équipe d'en faire la preuve. F. G.
Jeudi, juillet 16, 1998
Le Nouvel Observateur