Ils ont tué Rabin...

L'assassinat du Premier ministre a été l'aboutissement d'une campagne délibérée d'appel au meurtre. Un document accablant pour la droite israélienne
Ainsi, c'est fait. Ce que jamais des hommes n'avaient réalisé au cours de l'histoire, une entente sans guerre préalable, sans contrainte, sans conquérant, entre pays libres, cette entente a été ratifiée. Comment ne pas en voir la portée que le président de la République a longuement décrite à «Public»? Les chicanes sont dérisoires. Oui, il y aura des crises, oui l'édifice est fragile, mais ayons un peu d'enthousiasme, que diable! C'est ce qui nous manque le plus. Et pas seulement au sujet de l'Europe. L'avenir est devant nous, pas derrière. Un documentaire terrifiant, il n'y a pas d'autre mot, a été établi par le journaliste Michael Karpin et diffusé par Arte à l'occasion des 50 ans d'Israël. Il montre d'une façon implacable que l'assassinat d'Itzhak Rabin n'a nullement été l'œuvre d'un isolé illuminé, mais l'aboutissement d'une mise à mort délibérée, exigée et même annoncée par des groupes d'individus déchaînés, formés en comités d'intervention, colons, religieux, étudiants, manipulés par des extrémistes placés aux endroits stratégiques du pays. La violence des manifestations, le caractère des injures proférées jusque devant la porte du Premier ministre ? «Rabin nous ramène aux portes d'Auschwitz», «Rabin n'échappera pas au châtiment» «Rabin marchand de sang», «On veut que tu crèves» «Rabin mérite la mort» ?, le meurtre politique sans cesse légitimité ? «On a le droit de tuer l'oppresseur» ?, tout cela composait un tableau accablant pour la droite israélienne. Des violences, il y en a partout, des attentats aussi, et des excités. Mais un pareil délire collectif dans le crime, systématiquement attisé par des religieux, quelle société y résisterait sans grands malheurs? Le document de Michael Karpin, diffusé en Israël, a été reçu par une polémique passionnée. Pour se disputer, les Israéliens sont très forts. Pourquoi l'Egypte fait-elle rêver plus que la Grèce, plus que l'Inde, plus que l'Extrême-Orient? Peut-être parce qu'à déambuler parmi ses pierres magiques on a le sentiment d'être à l'aube de la civilisation. Les archéologues arrachant à la mer la statue de Ptolémée, on les avait déjà vus dans le documentaire judicieusement rediffusé par «Envoyé spécial» en prologue à une soirée entière sur l'Egypte. Puis nous fûmes à Alexandrie, la cité mythique, conçue par un jeune roi blond de 24 ans, en 332 avant Jésus-Christ, Alexandrie où les fouilles ont à peine commencé, où l'on perce les entrailles de la terre pour en exhumer une ville souterraine. Où en sont les Egyptiens aujourd'hui, entre leur capitale pullulante et leurs pierres précieuses? Beaucoup sont plongés dans le désespoir. Depuis l'attentat de Louxor, les touristes ont déserté les lieux, et c'est undésastre économique. Ils ont peur. Ils ont tort. L'Egypte n'est ni plus ni moins dangereuse que l'autoroute. Emmanuel Chain s'est attaché à nous révéler les secrets de notre immeuble («Capital»). Anne Sinclair a interrogé Jean-Paul Changeux sur les secrets du cerveau («Un mois une heure»). C'était plus ambitieux. Et à vrai dire plus troublant. Où est la mémoire et qu'est-ce que c'est? Où est la conscience et qu'est-ce que c'est? Une bosse? Un trou? Un nœud? On cherche, avec des moyens d'exploration de plus en plus sophistiqués. Mais le cerveau est malin, il se dérobe, le traître... Fascinant. Echange intéressant à «Droit d'auteurs», entre Jean-Noël Jeanneney, Edwy Plenel et M.Solas au sujet du trio juge-historien-journaliste. Pour Plenel ? qui balaie la célèbre apostrophe de Voltaire aux juges tout-puissants de son siècle ?, l'entrée des juges sur la scène française est un vrai progrès. Il récuse la responsabilité du journaliste «inquisiteur» toujours pressé par l'événement, que dénonce Jeanneney. Pour M.Solas, la justice a toujours été au service de l'Etat. Brusquement, elle bascule. Entre le peuple et les politiques, les juges arbitrent. C'est «le tiers pouvoir». On a cru comprendre qu'il s'en félicitait, davantage que Jean-Noël Jeanneney, plus circonspect. Quant à l'historien, sa fonction serait d'aider à réfléchir. On les aurait volontiers poussés les uns et les autres dans leurs retranchements pour réfléchir, précisément, sur une si grave question. F. G.

Jeudi, mai 7, 1998
Le Nouvel Observateur