Seule femme à avoir marqué la philosophie du XXe siècle, Hannah Arendt fut aussi l'égérie de trois hommes.Le portrait qu'Arte lui a consacré était digne d'elle
Dure, dure la vie politique... Voilà que Helmut Kohl est en train de se faire déloger après tant d'années de bons et loyaux services où il fit la réunification de son pays. Selon toute vraisemblance, les Allemands vont le chasser du pouvoir. Comme les Anglais ont chassé Churchill après la guerre. Les émissions sur Mai-68 s'arrêtaient avant le référendum de 1969 qui a désavoué de Gaulle. Là aussi, ce fut une explication brutale. L'étonnant est qu'il s'y soit soumis... Jacques Foccart rapporte, dans son livre («le Général en Mai»), cette conversation parmi d'autres similaires : «Je n'ai pas envie de faire ce référendum, c'est vraiment trop idiot... Il convient d'y renoncer.» Foccart discute. De Gaulle : «Je suis devant un piège à cons. Alors il ne faut pas y tomber... Ce référendum est ridicule.» Et pourtant, il y va. L'ingratitude des peuples envers leurs vieux chefs est infinie. C'est ce qu'on appelle la démocratie. Retransmise tout au long par LCI, la conférence de presse de Jacques Chirac paraissait réussie. Naturel, ancré dans une conviction forte, il était meilleur qu'il ne le fut jamais. Et puis voilà que la bande du RPR le trahit, décide de voter contre la résolution sur l'Europe, puis de s'abstenir, c'est la confusion, le bordel. Il n'y a plus de patron, là-dedans. Chez Michel Field, le malheureux Sarkozy a essayé de noyer le poisson pour finir par confesser : «Tiberi-Toubon, c'est une étape de plus sur notre chemin de croix.» Dure, dure la vie politique. Le dalaï-lama interrogé par Michel Denisot : il est épatant, cet homme-là. Qu'il parle des religions ? «La religion du plus grand nombre, c'est l'argent» ?, de la compassion, de la tolérance, des intégrismes tous détestables, ou tout simplement du bonheur ? «Ce qu'il y a de plus important dans la vie des hommes» ?, il a des mots forts et justes, du charme, il sait sourire, il dégage une apaisante impression de paix. Denisot, médusé, paraissait dans ses petits souliers. (Canal+.) Seule Arte pouvait offrir un documentaire sur Hannah Arendt, unique femme, avec Simone Weil peut-être, qui ait laissé, au XXe siècle, son empreinte sur la scène philosophique («les Origines du totalitarisme»). Jeune, elle était belle, ardente, brillantissime,«intensément féminine» dira-t-on d'elle. Sa biographie est traitée ici à travers trois hommes, Karl Jaspers qui fut son maître, Martin Heidegger dont elle fut l'élève et l'amante, et Heinrich Blücher, son mari, qui fut «sa patrie portative» . Juive et revendiquant cette «singularité» , elle s'est exilée d'Allemagne, son pays natal, en 1933. L'histoire de sa liaison avec Heidegger est étonnante. D'abord, pendant des années, il l'a soigneusement cachée. Il était marié. Puis elle est partie et Heidegger a succombé à Hitler. L'interprétation la plus favorable est celle de Jaspers : «Il n'avait pas de caractère du tout.» Néanmoins, Hannah se refuse à le renier. Mieux : après vingt-quatre ans de séparation, elle court vers lui, comme aimantée, le voit,entretient avec lui une correspondance. Un jour il ne répond plus. Alors elle a cette phrase :«Il ne supporte plus que j'écrive des lettres... Avec lui j'ai toujours triché, fait comme si je ne savais pas compter jusqu'à trois.» Et elle lui dédie son nouvel ouvrage. Se refusant à une solidarité inconditionnelle avec Israël, elle fait scandale, en 1963, en traitant du procès d'Eichmann, nazi majeur, à Jérusalem. «Le crime nouveau, sans précédent, d'Eichmann, c'est de ne s'être simplement jamais rendu compte de ce qu'il faisait.» Ce qu'elle appellera, d'une formule devenue célèbre, «la banalité du mal» . L'œuvre de Hannah Arendt est considérable. Son personnage infiniment attachant était, ici, bien restitué. Elisabeth Guigou, garde des Sceaux, invitée d'«Arrêt sur images», a mis fin aux supputations de la presse qui l'accuse de vouloir étouffer la liberté sous couleur de protéger la présomption d'innocence. Elle l'a fait sèchement ? agacée par des articles intempestifs ? mais fermement. Et a fourni un catalogue de ses intentions, irréprochables. L'émission s'ouvrait sur les journaux comparés de la Une et de la Deux, images tournées à Bruxelles le soir d'une manifestation. Pour la Deux, la foule affluait, pour la Une, au même instant, il n'y avait personne. C'est difficile, l'information. F. G.
Jeudi, avril 30, 1998
Le Nouvel Observateur